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Ville, le silence et l'exigence, Guy Burgel

Une véritable révolution de la politique de la ville est nécessaire en France alliant intelligence et persévérance.

                   
       La ville ne fait pas recette dans le débat public en France. Après les élections régionales de 2009, qui avaient fait l’impasse en Île-de-France sur les défis du Grand Paris, la dernière campagne présidentielle vient à nouveau d’en infliger la preuve. Mis à part quelques propos bienveillants sur la banlieue, le mot même de ville a été absent du langage de la plupart des candidats. Ce silence assourdissant n’est pas seulement paradoxal dans un pays, qui compte plus de 80% de citadins, où la quasi-totalité des habitants ont des consommations et des comportements de type urbain, révélés encore par les résultats des derniers scrutins (abstention plus forte en ville, poussée du Front national dans les espaces les moins métropolisés). Il devrait interpeller les responsables politiques, le président François Hollande en tête, au moment où l’idée de croissance revient et tend heureusement à contrebalancer la morosité de la crise et l’omniprésence de l’austérité. Car s’il fut un temps dans l’histoire de la France contemporaine, où l’accélération de l’urbanisation fut concomitante du progrès, ce fut bien pendant les Trente glorieuses (décennies 1950-70) : élévation des niveaux de vie, du logement à la voiture, démocratisation de la culture, accumulation économique à travers l’industrialisation en profondeur du territoire et la banalisation des services, renouvellement du creuset social, dans une communauté nationale qui se « moyennisait », une société qui se féminisait, notamment par l’emploi, et une éducation qui se généralisait.

La ville progressive

Ce n’est pas le lieu de s’étendre ici sur les raisons, qui depuis plus de vingt ans ont soudain désenchanté cette ville progressive : crise du système économique (scepticisme sur la croissance, doute sur l’échange), crise des matérialités urbaines (insuffisance de la construction de logements, contradictions de la mobilité, égale angoisse devant les dilutions périphériques et la densification des zones centrales), crise de l’intégrateur urbain (échec de l’école, crainte d’un communautarisme qui remplacerait les luttes sociales). L’inquiétude et les ambiguïtés nées des préoccupations environnementales s’additionnent à ces incertitudes : le développement durable contre la croissance ? la catastrophe climatique ou des pollutions localisées ? Et l’impuissance à définir les bons périmètres géographiques et institutionnels d’un nouveau gouvernement de la ville se résout dans des gouvernances vagues, qui ajoutent une crise de la citoyenneté aux contradictions objectives. Mais il paraît plus essentiel encore d’insister sur les principes refondateurs aujourd’hui de la politique urbaine, une espèce d’axiomatique qui voudrait rendre espoir à la ville.
La première condition est incontestablement de rétablir les bases sur la longue durée de la ville progressive : les 3 « I », instruction, immigration, innovation. Restaurer une éducation nationale, publique, efficace et équitable partout et pour tous, de la maternelle à l’université, est une priorité incontournable. C’est le seul moyen dans un monde urbain à la fois pluraliste et changeant d’assurer avec bonheur les mutations individuelles et collectives, les innovations technologiques et culturelles nécessaires, et surtout les compréhensions mutuelles indispensables au melting pot social. Ce retour à un système éducatif de la réussite doit s’accompagner de la conviction que la vocation initiale de l’école est d’être une instance de formation, et pas d’acquisition de techniques, a fortiori de métiers. Cette logique s’inscrit en faux contre la fuite en avant actuelle de professionnalisations précoces et mutilantes. On ne sera pas un citoyen actif et épanoui, parce qu’à 15 ans, on aura été « orienté » en apprentissage, souvent contre son gré. Cette priorité éducative ne souffre d’aucune limitation, même budgétaire : investir dans la jeunesse n’est pas s’endetter, mais bâtir l’avenir.

Savoir innover

La France a besoin d’immigration, parce qu’elle vieillit, parce que c’est le seul moyen d’amplifier avec l’enrichissement culturel et matériel son ouverture au monde. Pour la réussir, il faut en même temps assurer l’intégration des populations d’origine étrangère (l’emploi, le logement, l’école, la citoyenneté), et affirmer les valeurs intangibles de la République (la laïcité, le respect de la femme). Les unes sont d’autant mieux acceptées que l’autre est acquise. La ville de la haute croissance en apporta la démonstration. Mais il faut en outre savoir innover. Comprendre que le développement de l’emploi, même dans les grandes villes, ne peut plus être seulement « technopolitain », mais aussi d’économie banale, localisée (l’ « altermétropolisation »). Montrer que la ville « intense », en alternative de la périurbanisation, n’est pas nécessairement densifier avec des tours et des barres. Se battre encore pour changer, et pas réduire, les mobilités, afin de les rendre plus efficaces, moins pénibles et moins consommatrices d’énergie. Bref, mettre l’imagination au pouvoir.

Ces prémisses admises, on pourra venir aux grandes lignes d’une véritable re-création de la ville. Elles apparaissent souvent dans l’inversion des termes des politiques urbaines suivies jusqu’à maintenant. Depuis près de dix ans, l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine) a amplifié de ses financements massifs (plus de 40 milliards d’euros programmés) et de son volontarisme porté au plus haut sommet de l’État, les errements suivis depuis des décennies : mettre l’accent principal sur la matérialité de la ville, en traitant les façades, les revêtements, les cheminements, quand ce n’est pas en faisant imploser des immeubles, de façon provocatrice en période de pénurie de logements. C’est évidemment se tromper de cible, prendre le contenant pour le contenu, et oublier que sans des mesures sociales radicales sur l’école, l’emploi, les services publics, tout urbanisme, si imaginatif soit-il, est voué à l’échec. Ce n’est pas l’argent qui manque, mais l’intelligence et la persévérance pour l’investir à bon escient et provoquer des effets de levier sur la ville tout entière.

Il faut aussi en finir avec les incantations bien-pensantes et toujours répétées : la mixité résidentielle, dont on n’a jamais prouvé qu’elle améliorait les relations entre les groupes, le rapprochement habitat-emploi, tarte-à-la crème d’aménageurs qui rêvent peut-être du modèle de la mine et du coron, mais n’observent pas les sociétés urbaines complexes. On préfèrera toujours aux injonctions et aux prescriptions la compréhension fine des processus pour les accompagner, les infléchir ou éventuellement les amplifier. À cet égard, la mobilité sociale entre générations, parce qu’elle porte l’espoir, est plus prometteuse que le mélange des statuts immobiliers (logements locatifs et en accession à la propriété). De la même façon, les reprises spontanées de centralité (retournement de l’attractivité en faveur des zones centrales), dont témoignent tous les recensements des années 2000, à Paris comme dans les grandes agglomérations provinciales, devraient retenir l’attention. Elles montrent que l’extension périphérique des villes n’est pas inéluctable, pour autant que des politiques ambitieuses de transports collectifs, de réforme foncière et d’imagination architecturale, encourageraient ces tendances « naturelles ».

Mais il s’agirait là d’une véritable révolution de la politique de la ville en France. Il faut cesser de la confondre avec le traitement des quartiers difficiles et la résolution sectorielle des problèmes immédiats (pénurie de logements, difficultés quotidiennes de transports). La ville est une totalité, qui embrasse tous les territoires, tous les groupes sociaux, et associe leurs logiques antagonistes : accumulation et pauvreté, exclusion et embourgeoisement, centre et périphéries. À ce titre, elle réclame une stratégie, qui articule de façon logique et chronologique, défis de court terme et ambitions de long terme, projets localisés et déclinaison d’un récit urbain mythique, et même institutions démocratiques chargées de la mettre en œuvre. Désormais, la compétence territoriale ou technique n’est pas suffisante. Il faut aussi une vision politique et une adhésion populaire, pour transformer le silence sur la ville, en exigence de la ville.

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Guy Burgel, est professeur de géographie/urbanisme à l’université Paris Ouest-Nanterre La Défense. Il est l'auteur de Pour la ville, editions Creaphis, 2012

 

La Revue du projet, n° 18, juin 2012
 

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Ville, le silence et l'exigence,  Guy Burgel

le 06 June 2012

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