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Peut-on envisager un Tour de France propre ? Entretien avec Christophe Bassons*

Nicolas Bonnet : Comment êtes-vous devenu cycliste professionnel ?

 

Christophe Bassons : C’est vraiment par hasard ! Je suis issu d’une famille modeste, mon père est ouvrier en maçonnerie et ma mère agent d’entretien. Je n’avais aucun contact avec le sport de haut niveau. Quand j’étais gamin, je jouais toujours dehors avec mes copains et je me déplaçais en vélo. Un jour, je me suis inscrit à une course, sans être licencié, j’ai fini troisième de l’épreuve et le club m’a proposé de les rejoindre. J’ai signé ma première licence l’année de mes 18 ans. J’ai continué mes études après le BAC jusqu’en DUT Génie civil.
Le déclic a été en 1995 lors de mon service militaire au sein du Bataillon de Joinville. Ce fut mon premier contact avec le sport de haut niveau avec un entraîneur exceptionnel, Michel Thèze. Je suis devenu champion du monde militaire et champion de France espoir en 1995. Trois propositions m’ont été faites pour intégrer une équipe professionnelle et j’ai choisi de suivre Michel Thèze dans l’équipe Force Sud, puis j’ai intégré Festina avant de rejoindre La Française des Jeux en 1999. Devenir professionnel n’a jamais été mon objectif, j’ai toujours su que je pouvais reprendre mes études à tout moment. J’ai refusé de faire le Tour de France pendant trois ans car je savais que je ne pourrais pas récupérer après une telle épreuve. Après l’affaire Festina, j’ai cru au « Tour du renouveau » et donc je l’ai fait, avant d’abandonner…
 

N.B. : Pourquoi certains cyclistes se dopent ? Pourquoi  as-tu refusé ?

 

 

C.B. : Cela dépend de beaucoup de choses : l’estime de soi, le fait d’être bien dans sa peau et le plaisir sur le vélo sans avoir besoin de vaincre à tout prix, mais également de la situation financière et sociale de chacun, la capacité de pouvoir faire un choix joue un rôle majeur. Il y a beaucoup de pression, des contrats qui peuvent être multipliés par dix. La tentation est grande avec une pression collective car il y a une solidarité d’équipe. On t’explique que tu en auras besoin pour récupérer, que c’est bon pour ta santé, que tu as des aptitudes physiques naturelles incroyables et donc une capacité de progression importante. Pour être vainqueur, il faut avoir faim et prendre des risques. C’est le résultat sportif qui leur donne l’impression d’exister. Les ressentis ne sont plus une priorité et la douleur est alors perçue comme une ennemie à éliminer ou à inhiber. Le corps devient un moyen de réussite et non d’épanouissement, il n’est plus respecté, quitte à transgresser les règles et les valeurs essentielles au sport. Dans ces conditions, c’est très dur de résister aux pressions. Tu encaisses les défaites alors que les autres trichent et qu’on te dit de faire comme eux. Si tu ne fais pas pareil, tu as l’impression de déranger. Me concernant, la situation était difficile à vivre, mais j’ai eu le soutien de mon épouse et je savais que je pouvais reprendre mes études à tout moment même si je ne me posais pas la question de ma reconversion. J’avais la possibilité de faire un choix.
 

N.B. : Pourquoi avoir dénoncé le dopage et avoir pris position publiquement ?

C.B. : Je n’ai pas dénoncé le dopage, ce sont les autres qui m’ont dénoncé car je ne me dopais pas ! Après l’affaire Festina, la défense de mes coéquipiers était : « Ne nous attaquez pas car tout le monde le fait sauf Bassons ». J’étais l’exception. Un coureur parmi tant d’autres qu’aucun journaliste n’avait interrogé avant cette affaire. Du jour au lendemain, les journalistes me sont tombés dessus. Mes co-équipiers me demandaient de ne pas parler. J’ai écrit ce livre pour les générations futures. C’est la réflexion d’un mari, d’un père de famille qui dénonce ce système pour permettre aux jeunes de résister face au dopage. J’ai voulu faire un livre sur la dignité de la personne. L’objectif du sport devrait être l’épanouissement personnel, or j’ai découvert un milieu où tu dois te fondre dans le moule, tu dois te plier au système, tu es complètement assisté, jusqu’à faire porter ton sac… Le sportif devient un outil du système pour des résultats, il n’a plus de conscience, il est formaté.
 

N.B. : Peux-tu imaginer un Tour de France propre ?

C.B. : C’est difficile de faire bouger les lignes. Le Tour de France fait partie de notre patrimoine, c’est un grand événement populaire, gratuit, très médiatique avec des enjeux financiers énormes. Ce n’est pas facile de faire évoluer les mentalités dans le peloton car tous les coureurs ont le goût de la gagne. Cependant, il y a une grande évolution après l’affaire Festina, notamment grâce à Marie-George Buffet, ministre des Sports à l’époque. Il y a eu une prise en considération de la santé des sportifs par la loi avec des moyens pour une meilleure détection et une lutte contre les trafiquants. La France était en avance sur le monde entier mais, depuis, on a lâché du lest. Les autres pays étant en retard, l’harmonisation internationale sur les produits dopants s’est faite en partie par le bas. Par exemple aujourd’hui, il y a deux listes de produits interdits, une pour les compétitions et une moins contraignante pour l’entraînement ! Il y a également obligation d’avoir l’accord des fédérations sportives avant un contrôle sur une compétition internationale. Dans ce cas-là, il n’y a plus de contrôle réellement inopiné.

N.B. : Quelles propositions devrions nous faire selon toi ?

C.B. : D’abord revenir à une liste unique des produits interdits et assurer l’indépendance des contrôles. Ensuite, nous ne devrions pas accepter la présence de médecins dans les équipes dont le but est de les assister pour la performance. Il faudrait imposer des médecins indépendants aux équipes. Nous devrions avoir une autre approche de la médecine du sport, elle est aujourd’hui trop liée au traitement des symptômes par la prise de médicaments, sans chercher les origines des pathologies. Beaucoup sont dus à un manque de préparation, à l’alimentation, l’hydratation, le manque de récupération voire le surentraînement. L’athlète, comme tout être humain, doit accepter la maladie, la fatigue et la blessure. Il faudrait mettre en place une politique de prévention avec beaucoup plus de phases de récupération entre les compétitions car le dopage est dans de nombreux cas lié à l’amélioration de la récupération.
Enfin, il faut former les jeunes à dire non, à refuser le dopage en ayant un avis et en leur donnant les moyens de défendre leurs idées. L’entourage joue un rôle crucial, notamment pour le bien être et l’épanouissement personnel. Il faut travailler auprès des sportifs dès la pré-adolescence afin de leur apporter les outils pour qu’ils se forgent leur propre avis, qu’ils ne soient pas sous influence. Réfléchir avant d’agir pour pouvoir assumer tout ce que l’on fait est essentiel pour avoir une estime de soi nécessaire à une vie sereine et constructive.

N.B. : Quels progrès pour ton sport souhaiterais-tu ?

C.B. : D’abord, une autre couverture médiatique qui ne parle pas uniquement du résultat mais qui serait capable de nous faire vibrer en parlant du plaisir de la pratique, de la culture du vélo, des souffrances comme des joies.
J’ai été séduit par le programme du Front de Gauche l’Humain d’abord, car l’axe central c’est l’émancipation, c’est l’humain avant le résultat sportif. C’est mettre en valeur les bénévoles qui œuvrent sur le terrain. Le slogan du Front de gauche « Prenez le pouvoir » invite les pratiquants et les bénévoles à prendre la parole pour changer les choses. Nous ne devons pas attendre les solutions d’ailleurs et être à la merci des autres, c’est l’expérience que je retiens de mon parcours. Je suis scandalisé quand j’entends qu’un gamin qui n’a pas participé à un entraînement est puni le samedi et ne fait pas le match. Lorsqu’un gamin vient dans un club, c’est d’abord pour le jeu. Il faut revaloriser le jeu dans le sport et former les éducateurs sur cette base. Le nombre de licenciés et les résultats sportifs ne devraient pas être la référence dans le financement public des fédérations. Ce devrait être le contenu de la pratique. Je vois des jeunes qui ont de moins en moins le temps de respirer et de s’amuser. Il faut mettre fin à l’occupation permanente et mieux considérer les bienfaits du repos et de la réflexion. Prendre le temps de s’écouter respirer, sentir son cœur battre, sentir le sang passer dans les artères, apprendre à connaître son corps. Ce n’est que lorsqu’on prend conscience de sa complexité qu’on le respecte comme il le mérite.

*Christophe Bassons est ancien cycliste professionnel, professeur de sport à la direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale d’Aquitaine.

Portrait :
Cycliste professionnel de 1996 à 2000, membre de l’équipe Festina, il refuse de se doper et deviendra le symbole du coureur propre. En 1999, il abandonne le Tour de France sous la pression du peloton qui ne supporte pas ses prises de position. Il subira notamment les remontrances de Lance Armstrong qui lui propose d'abandonner et qui déclare : « S'il pense que le cyclisme fonctionne comme cela, il se trompe et c'est mieux qu'il rentre chez lui ». En 2000, il publie son premier ouvrage sur le dopage, Positif, aux Editions Stock. En 2001, il abandonne le cyclisme professionnel et intègre la fonction publique après avoir obtenu son professorat de sport. Il se tourne vers la pratique du trail et du VTT où il devient l'un des meilleurs français.

La Revue du projet, n° 18, juin 2012
 

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Peut-on envisager un Tour de France propre ?  Entretien avec Christophe Bassons*

le 04 juin 2012

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