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L’apprentissage des techniques sportives au cœur de l’émancipation, Anne Roger*

Loin du lieu d'aliénation présenté par certains la dimension technique des pratiques sportives est primordiale pour accéder à une bonne maîtrise de soi.  

Aujourd’hui, quand il s’agit d’évoquer la dimension éducative, donc émancipatrice, du sport, les discours se portent majoritairement en premier lieu sur les valeurs associées à ce sport. Aussi, volontairement, j’aimerais me positionner davantage sur le plan des pratiques et partir d’une représentation courante, celle du champion considéré comme une machine à répéter des gestes techniques, toujours les mêmes, jusqu’à en devenir prisonnier, « aliéné » diraient d’aucuns, pour la déconstruire et rappeler que finalement ce qui permet aux sportifs de s’émanciper est également en germe dans la dimension technique.

La performance ?

 

De mon point de vue, il s’agit donc de poser le travail technique, partie intégrante de l’entraînement de tout sportif qu’il soit champion olympique ou jeune sportif sans expérience et quel que soit le niveau de pratique, comme dimension fondamentale de l’émancipation, comme lieu d’acquisition de nouveaux pouvoirs. Ce point me semble fondamental à réintroduire dans le débat tant dans le monde sportif aujourd’hui émergent de nouvelles pratiques, notamment toutes celles classées dans le fourre-tout sport-santé, qui laissent sur le bord de la route la dimension technique et donc culturelle du sport. À une conception unitaire et globale du sport qui intègrerait à la fois la dimension technique, performative, la santé (comme point de départ de nouvelles expériences et non plus comme seul but en soi), le partage, la convivialité, etc. semblent en effet aujourd’hui s’opposer des pratiques que l’on voudrait laisser penser « autonomes » et spécifiques. Ainsi, ce qui est proposé aux adultes souhaitant se maintenir en forme, s’entretenir, évacue de plus en plus les aspects techniques pour se centrer sur les dimensions physiologiques et musculaires, une pratique hygiénique en quelque sorte. L’activité technique, comme processus visant à produire une réponse motrice répondant à la logique de performance spécifique à une activité sportive donnée, n’est pas au cœur de ces pratiques : footing, renforcement musculaire, marche, nage de longue distance, vélo… L’essentiel devient de bouger, de se fatiguer, de se donner bonne conscience en oubliant que pour explorer de nouvelles sensations, de nouveaux espaces il faut apprendre des gestes techniques fins. La même logique se retrouve parfois dans les pratiques sportives proposées aux jeunes enfants ou adolescents dans lesquelles le jeu semble devoir suffire, un jeu qui pourrait amener à des apprentissages techniques s’il était créé et pensé en ce sens mais qui souvent se cantonne à la dimension ludique sans la connecter avec la dimension technique, la dimension de l’apprentissage liée aux techniques sportives, objets et moyens culturels. Bref, on reste ici sur le pôle de l’animation… première pierre nécessaire mais insuffisante selon nous pour une formation sportive qui transforme l’individu et le rend plus libre de ses choix. De la même manière, la performance semble faire peur, rejetée en bloc elle se charge de connotations négatives, et le sport de performance devient progressivement un espace réservé à l’élite, confisqué dès lors aux jeunes sportifs et sportives en herbe… La performance aseptisée, minimisée, l’aspect technique est lui aussi encore évacué. Nous devons veiller à ne pas déposséder la jeunesse de ces lieux d’expérience exceptionnels et irremplaçables.

En quoi cet espace technique
est-il un lieu d’émancipation ?

 

Il l’est pour diverses raisons que nous n’évoquerons que succinctement. L’apprentissage technique est l’espace de l’infiniment fin. Il donne accès à des sensations très fines, très personnelles. Il permet d’accéder à une complexité non visible vue de l’extérieur et qui pourtant est source d’émotions énormes, de plaisir intense. Qui peut se douter de la joie ressentie par le jeune sportif ou la jeune sportive quand une sensation technique s’associe à davantage d’efficacité et de performance ? Qui peut décrypter ce que signifie la lueur dans leurs yeux quand ils viennent de ressentir ce que permet le placement technique recherché, la petite intention qu’ils viennent de réussir à mettre en œuvre…le travail technique est un lieu d’expérimentation mais aussi de création. N’en déplaise aux pourfendeurs de la technique qui ne l’envisagent que comme un lieu d’aliénation. Rien n’y est jamais figé, toute action est sans cesse reproblématisée… Ce travail technique, cet espace technique permet ainsi de gagner de nouveaux pouvoirs, de se sentir plus fort, d’être plus performant, plus confiant, de se surprendre soi-même. Autant d’éléments qui justifient que l’on revendique avec force cette dimension technique de la pratique, liée évidemment à celle de la performance. Sans elle, les jeunes sportifs risquent de se voir confrontés rapidement à la frustration d’un non-progrès, à l’ennui, voire même à des blessures.

Une formation exigeante

 

Inévitablement, envisager la formation sportive en intégrant la dimension technique telle que suggérée ci-dessus nécessite un contexte favorable : du point de vue politique, une conception du sport globale et unitaire doit être défendue dans laquelle la dimension technique associée à la performance doit occuper une place centrale et résister aux formes de pratiques qui isoleraient certains aspects. Le sport santé, le sport loisir, peuvent aussi se concevoir en intégrant toutes ces dimensions et le sport de performance ne doit pas être réservé à une seule élite. Dès lors, il convient de donner les moyens aux entraîneurs des clubs sportifs accueillant les jeunes quotidiennement sur les terrains sportifs de pouvoir les encadrer qualitativement, ce que seule une formation considérée comme un secteur « noble » et comme un maillon essentiel des politiques de développement des fédérations peut permettre. Il faut oser être ambitieux. Les jeunes sportifs ne doivent pas être pris en otage de choix qui ne les mettent pas au cœur et ne prennent pas en considération ce qu’ils ont à gagner à pratiquer une activité sportive.

 

*Anne Roger est maître de conférences en sciences et techniques des activités physiques et sportives à l’université Lyon I.
 

 

La Revue du projet, n° 18, juin 2012

 

 

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L’apprentissage des techniques sportives au cœur de l’émancipation,  Anne Roger*

le 04 juin 2012

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