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Une clé de l’avenir : gagner la bataille de l’hégémonie culturelle en matière migratoire, Guillaume Quashie-Vauvlin

Vingt-deux avril 2012. Place Stalingrad comme ailleurs : surprise, stupeur, consternation. Le Front national est annoncé à 20% – en réalité 17,90%. Comment expliquer que, par millions, nous n’ayons rien vu venir ? Pollués par les obsédantes sécrétions sondagières, n’avons-nous pas tout simplement oublié la réalité et cessé de penser ?

 

Oui, le Front national – et l’extrême droite plus largement – est une réalité structurelle lourde dans notre pays. Voilà bien longtemps qu’il a quitté les rivages des 190 000 électeurs (1974) pour ne jamais descendre sous la barre des 4,3 millions depuis près de trente ans : 4,38 millions dès 1988 ; 4,57 en 1995 ; 5,47 en 2002 (avec Mégret) ; 4,65 en 2007 (avec Villiers). Et l’extrême droite – déjà sous-évaluée en 2007 du fait d’un puissant vote utile Sarkozy à la droite de la droite – aurait dû reculer après cinq ans de discours et d’actes presque inouïs signés Sarkozy, Guéant, Besson und andere ! Eh bien non, le réel et ses 6 421 426 voix a rattrapé nos divagations idéalistes…

 

Ne forçons pas le trait : nous avons, et bien seuls, mené l’offensive contre le FN. À son tour, la Revue du projet entend prendre sa part de l’impérieux combat avec le présent numéro – dont on se permettra d’indiquer qu’il a été pensé bien en amont de l’indigeste 17,9%.

 

Extrême droite et migrations : le lien est en effet crucial. C’est bien une manière de voir le monde où la frontière du « eux » et du « nous » passe entre les cartes d’identité – voire entre les couleurs de peau qu’on leur associe – plutôt qu’entre les classes sociales qui entraîne vers les rives du FN. Les sociologues Guy Michelat et Michel Simon dans cet ouvrage décidément incontournable (Le Peuple, la crise et la politique, 2012), le montrent très nettement : « Tout se passe comme si les difficultés vécues et le sentiment de révolte qu’elles suscitent n’entraînent un fort niveau de sympathie pour le FN qu’à la condition d’être imputées à l’omniprésence d’immigrés qui "nous" coûtent, prennent "nos emplois" […], à qui "nos" politiques donnent tout et permettent tout alors "qu’on" ne fait rien pour "nous". »

 

Si c’est cette fixation sur la question immigrée qui emmène vers le FN, c’est donc là qu’il faut résolument porter le fer. D’autant qu’elle est comme l’œil apotropaïque à la proue de l’antique paquebot du Capital : elle détourne le fatal danger. Elle interdit une mobilisation ambitieuse et majoritaire, fruit de la claire identification de l’ennemi véritable ; elle chauffe les eaux d’une haine désorientée, freinant toute action-iceberg susceptible de couler les arrogants Titanic de notre temps.

 

Oui, c’est là qu’il faut porter le fer avec ardeur et urgence car ce travail décisif sera de longue haleine. Certes, la situation s’améliore dans les têtes par rapport à l’enfer des années 1990 (cf. bis Michelat et Simon). Elle n’en demeure pas moins très préoccupante : ce sont encore 48% des Français qui pensent qu’il y a trop d’immigrés dans notre pays…

 

Dans le même temps, « l’ethnicisation » (Jean-Loup Amselle) de la société avance dangereusement : voyez ces questions récurrentes dès qu’on a un peu plus de mélanine que Brice Hortefeux « Vous venez d’où ? » ou, mieux encore, l’impayable « Vous avez des origines ? » ; voyez les cours d’école où le « Cé-Fran » est l’écolier au teint clair. Le grand historien Ernest Labrousse disait que les mentalités retardent toujours sur le réel. Quel retard ! Notre image mentale du Français semble bloquée au Cantal médiéval… Non, un Français, à présent et pour toujours, peut être de n’importe quelle couleur : il va bien falloir l’intégrer !

 

Communistes, nous avons bien sûr à être clairs et combatifs sur ce chapitre. Assurément, nous le sommes infiniment plus que les douteux Valls ou Boutih… Mais, puisque la Revue du projet tâche d’être un caillou dans tous les chaussons funestes de l’assoupissement, grattons un peu.

 

Pourquoi n’avoir pas défendu clairement dans L’humain d’abord ! une citoyenneté de résidence dans la droite ligne de la tradition révolutionnaire depuis Chénier et Robespierre et s’être contenté d’un droit de vote aux élections locales pour les étrangers ? Un étranger serait assez citoyen pour élire son maire mais pas assez pour élire son député quand la démocratie (voyez Rousseau) consiste à obéir aux lois qu’on s’est soi-même données collectivement ?

 

Bien sûr, les élections locales sont une étape à l’importance décisive, fou qui l’ignore ! Bien sûr, il nous faut toujours scruter où en sont les habitants de notre pays pour produire un discours audible. Mais si nous estimons que les « gens ne sont pas prêts » (est-ce si sûr ?), affrontons la question conséquente : que faisons-nous pour qu’ils le deviennent ? Enfin, notre force ne tient-elle pas à la cohérence de nos propositions, socle de notre crédibilité ? Dans ce cadre, le suffrage réservé aux élections locales ne s’apparente-t-il pas à un bricolage laissant trop voir le chemin à parcourir pour opposer au FN – et au-delà… – une conception solide (« On vit ici, on bosse ici, on vote ici »), seule à même de battre en brèche leur vision étroite de la citoyenneté ?

 

Pour sûr, nous sommes bien armés pour ce combat : n’est-ce pas notre jeune parti qui, en 1924, présenta l’Algérien Abd el Kader Hadj Ali manquant à vingt voix de le faire entrer à l’Assemblée ? Le nouveau pari communiste est toujours celui de l’audace. Notre pays en a bien besoin.

*Guillaume Quashie-Vauclin est responsable adjoint de la Revue du projet.

 

La Revue du Projet, n° 17, Mai 2012
 

Il y a actuellement 1 réactions

  • droit de vote des immigrés

    Enfin !  une citoyenneté de résidence. Ne pas demander à une personne de renoncer à une part de son histoire, de sa culture (en demandant la nationalité française) pour avoir le droit de s'impliquer dans la vie du pays où il participe, parfois depuis de longues années, à la création de richesses, renouer avec les grandes idées révolutionnaires.

    Ca me rappelle un très beau texte de Pierre Gamarra, trouvé dans un manuel d'éducation civique pour élève de primaire malheureusement peu utilisé, dans lequel il proposait aux élèves de réfléchir à la notion de "nation". J'ai oublié l'exacte conclusion mais l'idée était " c'est l'endroit où j'ai aimé, où j'ai travaillé, où j'ai vécu heureux..."

    Merci

    Par Aury Claude, le 22 mai 2012 à 19:55.

 

Une clé de l’avenir : gagner la bataille de l’hégémonie culturelle en matière migratoire, Guillaume Quashie-Vauvlin

le 16 mai 2012

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