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Des média de second tour, Henri Maler*

Le mode de scrutin incite à une bipolarisation de la vie politique et à une personnalisation du débat public qui bride la diversité politique et invite à se focaliser sur le second tour de l’élection présidentielle.

L es institutions de la Ve République, leur fonctionnement et, en particulier, l’élection du président de la République au suffrage universel sont marqués par un présidentialisme dont le caractère démocratique est, pour le moins, contestable. Le mode de scrutin incite à une bipolarisation de la vie politique et à une personnalisation du débat public qui bride la diversité politique et invite à se focaliser sur le second tour de l’élection présidentielle. Tout ne vient donc pas du rôle joué par les média dominants. Mais ceux-ci ne se bornent pas à épouser les tendances les plus lourdes : ils les confortent.

Une véritable course de chevaux

 

La prolifération des sondages d’intention de vote dont ces média sont les principaux commanditaires et qui sont d’autant plus dénués de signification qu’ils sont éloignés de la date du scrutin, incite les électeurs à choisir les candidats en fonction des chances qui leur sont accordées pour le second tour. Mais surtout, cette « sondagite » est une inépuisable réserve de bavardages (y compris de bavardages sur la validité des sondages) sur les chances attribuées aux candidats « les mieux placés » pour figurer au second tour. Et, quand les scores « sondagiers » des autres candidats sont pris en compte, c’est presque exclusivement quand ces scores semblent devoir modifier ceux des candidats les mieux cotés dans la course de chevaux qui, généralement plus que les projets eux-mêmes, passionne les pronostiqueurs.

De surcroît, la « règle d’équité » – dont la définition est à peu près introuvable et qui ne s’applique qu’aux média audiovisuels – n’est même pas respectée et, quand elle l’est, elle épouse, avec l’assentiment du CSA lui-même, la courbe des sondages. Encore ne s’agit-il, pour l’essentiel, que de l’évaluation des temps de parole et d’exposition des candidats eux-mêmes. L’évaluation du temps consacré par les commentateurs à papoter sur la campagne desdits candidats est effectuée selon les critères les plus flous : et là encore, c’est l’affrontement escompté pour le second tour qui mobilise les durées les plus longues (et en presse écrite les espaces les plus étendus).

 

Encore ne s’agit-il trop souvent que de s’étendre sur les effets médiatiques des prestations des candidats, plutôt que sur leurs programmes. On ne compte plus en effet, en particulier sur les chaînes d’information en continu (LCI, i-télé, BFM-TV), les débats ou les ébats consacrés à l’image que les principaux candidats donnent d’eux-mêmes et au style de leur campagne. Sondologues et « science-pipeaulogues » bénéficient désormais du renfort de plus en plus fréquent d’experts recrutés dans des agences de communication. On devine quel bénéfice les candidats de moindre importance sondagière pour le second tour peuvent tirer des commentaires de devins qui scrutent les entrailles des sondages et de communicants pour qui la forme l’emporte sur le fond.

Le pire n’est pas toujours omniprésent. La presse écrite et, en particulier la presse écrite nationale, accorde une certaine place aux propositions de tous les candidats du premier tour. Mais les média de parti-pris les plus lus proportionnent l’importance qu’ils accordent à ces propositions en fonction des candidats qu’ils privilégient ou soutiennent ouvertement et qui semblent promis au second tour. Et les média de consensus, comme le sont ou affectent de l’être, les principaux média audiovisuels organisent des entretiens qui portent parfois sur ces même propositions. Mais, si les journalistes, dans les émissions dites d’information, n’omettent pas toujours de les mentionner, c’est à condition qu’elles soient « spectaculaires » (et souvent conçues pour « faire événement ») et, surtout, à condition qu’elles suscitent les commentaires des favoris ou de leurs suivants immédiats.

Une minoration qualitative des candidats « inutiles »

 

Ainsi, ce n’est pas seulement quantitativement  que des candidats sont minorés (sous prétexte qu’ils seraient mineurs), c’est qualitativement. En leur absence, mais aussi en leur présence. Même quand de « petits » candidats sont interrogés sur leurs projets, c’est pour mesurer l’irréalisme qu’on leur prête au réalisme que l’on attribue aux projets des « grands » ou que l’on serait en droit d’attendre d’eux. Et cela du moins quand les principales questions ne portent pas sur le positionnement tactique des « petits » (ou des « moyens ») par rapport à ceux auxquels les sondages accordent une prééminence et dont ils anticipent la présence au second tour.

Ainsi tout concourt, sans qu’il soit nécessaire d’imaginer une entreprise concertée, à traiter la plupart des candidats du premier tour en « candidats inutiles » (comme le disait de certains d’entre eux Jean-Michel Aphatie) ou en candidats qui ne sont utiles qu’en fonction du second tour. Pas besoin, dès lors, de donner une consigne : on devine ce qu’est, pour la plupart des journalistes et quels que soient leurs votes personnels, le « vote utile » au premier tour. 

*Henri Maler est co-animateur de l’association Acrimed (Action-Critique-Média).

 

La Revue du Projet, n°16, avril 2012
 

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Des média de second tour, Henri Maler*

le 05 April 2012

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