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Faut-il germaniser notre modèle social ? Alain Vermeersch

Pas moins de vingt-et-une mentions de l’Allemagne en 72 minutes ont été prononcées lors de l’intervention du 29 janvier dernier de Nicolas Sarkozy. L'Allemagne est dans toutes les bouches médiatiques.

Un modèle pas si social que cela

 

Dans Le Figaro (09/02), Jean-Louis Thériot, historien, explique « L’agenda 2010, lancé en 2003 par le chancelier socialiste Gerhard Schröder, est le fruit d’une réflexion stratégique menée, en amont, avec l’aide des think tanks, notamment la Fondation Bertelsmann, et expliquée en aval avec un souci de pédagogie économique inscrit dans la durée. C’est aussi le fruit d’un modèle social et politique où l’intérêt général l’emporte sur les clivages partisans. L’agenda 2010 a été voté tant par le SPD que par la CDU. La population a accepté les grands choix macroéconomiques : la compétitivité avant la consommation, l’emploi avant le revenu. » Et pourtant il souligne « Le tableau doit certes être nuancé. Les inégalités se sont accrues, l’Est est toujours à la traîne, la démographie est catastrophique et l’endettement global très important. » Henrik Uterwedde, directeur adjoint de l'Institut franco-allemand de Ludwigsburg, est cité dans Challenges (23/02) « Ces réformes ont redynamisé durablement l'économie allemande » mais ajoute-t-il « Elles ont bien sûr causé des dégâts sociaux. Le revenu des ménages, la consommation intérieure et les investissements publics ont été négligés. L'heure est venue de réparer cela et l'Allemagne en a désormais les moyens. » Selon l'institut fédéral des statistiques Destatis, plus de la moitié des 322 000 emplois créés entre 2009 et 2010 concernaient du travail temporaire, et les trois quarts, de l'emploi précaire en général (CDD, jobs défiscalisés payés 400 euros, temps partiel de moins de 20 heures par semaine). Aujourd'hui, le nombre d'intérimaires approche le million dans le pays. Or, ils sont en moyenne payés 30 % de moins que leurs collègues. 75 % des emplois créés en 2009 et en 2010 sont précaires. À côté de l'industrie, la précarisation s'aggrave aussi dans les services, l'alimentaire en tête. Les « minijobs », ces contrats défiscalisés plafonnés à une rémunération forfaitaire de 400 euros net par mois, touchent 800 000 personnes dans l'agroalimentaire et l'hôtellerie, soit près d'un travailleur sur deux. Le chiffre a explosé depuis la levée de la limite de 15 heures de travail hebdomadaire, en 2003. (Politis 23/02)

 

Les raisons politiquesd'une comparaison

 

« Quand nous parlons avec angoisse de sauver le « modèle français », ce n’est pas seulement manière de parler de notre particularité, mais désir de sauver un universel que tout le monde, dans l’avenir, devrait imiter. On comprend donc la colère qui peut saisir certains quand le président de la République lui-même se met à faire du benchmarking avec son pays qu’il devrait admirer et non comparer » observe Chantal Delsol, philosophe. (Le Figaro 08/02) Et d'ajouter « Pourtant, l’exercice a ses limites, et à cet égard les citoyens agacés n’ont pas tout à fait tort. Comment peut-on penser que nous pourrions picorer quelques recettes chez les Allemands afin d’améliorer notre ordinaire ? Les méthodes allemandes participent d’un art de vivre complet, d’un monde culturel qui n’est pas le nôtre. Il existe, selon l’affirmation désormais fameuse de Denis Olivennes, une « préférence française pour le chômage. Nous préférons plus de chômage et moins d’inégalité, contrairement aux Allemands. Nous adorons l’État.  Si la France voulait s’inspirer de l’Allemagne en raison de son indéniable réussite économique, il faudrait sans doute qu’elle devienne fédérale. Idée sacrilège. » Mathieu Magnaudeix dans Mediapart (03/02) rappelle comment « Nicolas Sarkozy a bien souvent justifié ses choix en affirmant que l’Allemagne avait fait la même chose auparavant. Et bien souvent, c’était faux, ou au minimum imprécis. Il a inventé des statistiques, multiplié raccourcis et omissions, attribué par erreur des mesures à l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder pour mieux tancer les socialistes français. Bouclier fiscal, impôts, coût du travail, retraites… : voici comment Nicolas Sarkozy a tenté de vendre aux Français un «modèle» pas si exemplaire. L’économiste Arnaud Lechevalier avance l'idée d' « une rigueur  exceptionnelle », tandis que l’évolution des dépenses publiques en France progressait selon la moyenne de l’Union européenne. Un modèle ? Pas vraiment. La réduction des dépenses publiques s’est faite au détriment de la solidarité (les minima sociaux ont été baissés), et de l’investissement des communes et des États régionaux dans l’éducation, les infrastructures et équipements collectifs (bibliothèques, piscines, services sociaux). Quand il s’agit d’expliquer le décrochage de la France par rapport à l’Allemagne ces dernières années, Nicolas Sarkozy a une bête noire toute trouvée : les 35 heures. »

 

« L'Allemagne enrôlée dans la campagne en France »

 

Ce titre des Echos (07/02) et ce commentaire « Non content de s'adjoindre le soutien d'Angela Merkel, Nicolas Sarkozy ne cesse de louer le modèle allemand à l'approche de l'élection présidentielle. » montre bien l'utilité du modèle allemand. « L'Élysée a observé de près les résultats d'une enquête Ifop pour l'ambassade d'Allemagne à Paris. 82 % des sondés disent avoir une « bonne image » de l'Allemagne ; 74 % jugent qu'elle obtient de « meilleurs résultats » économiques que l'hexagone et 62 % estiment que la France doit « s'inspirer davantage » de l'Allemagne. » Mais il y a un bémol « Cette stratégie est toutefois à double tranchant. Le risque est que les Français, toujours attachés à la souveraineté nationale, aient le sentiment que la France est « alignée sur l'Allemagne ». Le battage sur le manque de productivité de la France est mis à mal. « Selon un rapport de l’Insee, le passage aux 35 heures a contribué à la baisse des coûts salariaux unitaires. » annonce Libération (22/02). « Elle reste néanmoins, à un cheveu près, moins onéreuse que l’Allemagne (33,37 euros). Ainsi, rappelle l’Insee, L’Allemagne détient, dans l’industrie automobile, le coût horaire du travail le plus élevé d’Europe, supérieur de 29% à celui de la France, « alors même que le secteur automobile a contribué, dans une large mesure, à la dégradation du solde commercial de la France ». » Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation Ifrap, mange le morceau. « La question n'est en fait pas celle des modèles mais celle des réformes. Et, en France, trop rares sont ceux qui ont la volonté et le courage de débattre et de défendre de vraies idées de réformes. Si l'Allemagne est devenue un modèle, c'est qu'elle a réussi à « éponger » ses déficits publics et sociaux, à réduire le nombre de chômeurs et à avoir une balance commerciale excédentaire. La question qui se pose à la France et à ses partenaires européens est en définitive la suivante : transformer notre welfare (aide sociale) en workfare (recherche active d'emploi). » Thomas Piketty dans Libération (14/02) sermonne le PS. « François Hollande a le mérite de dire où il prendra les 30 milliards d’euros de recettes supplémentaires permettant de rééquilibrer nos finances publiques. Mais les réformes de structure sont pour l’instant quasi absentes de son programme. Plus généralement, notre système fiscal est archaïque, complexe, imprévisible pour les agents économiques. Il doit d’urgence être simplifié et modernisé. Or, voici que le délégué à la fiscalité de François Hollande, Jérôme Cahuzac, vient d’expliquer avec fierté que rien ne serait fait dans le quinquennat, et qu’il faudrait plusieurs mandats pour envisager une telle réforme… Tout cela n’est pas à la hauteur de la situation. L’alternance ne doit pas se faire par défaut. »

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Faut-il germaniser notre modèle social ? Alain Vermeersch

le 09 March 2012

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