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La dégradation du triple A, une gifle pour la politique du quinquennat Sarkozy

Par Alain Vermeersch

Dans le même temps, la perte de la note « AAA » de la France chez Standard & Poor's sera utilisée par Nicolas Sarkozy pour justifier l'adoption accélérée de sa règle d'or et de l'hyper-austérité.

Une gifle et un vœu

 

Les éditorialistes ne sont pas tendres avec Sarkozy mais appellent de leurs vœux une aggravation de l'austérité. Pour Claude Imbert (le Point 19/01) « la chute du triple A proclame bel et bien une défaite française. Si prévisible fût-elle, si contestée soit-elle par une autre notation, cette dégradation blesse l'orgueil national, fouaille l'humeur populaire... Il faut une crise majeure pour qu'un déficit trentenaire ne saute aux yeux qu'en sautant à la gorge. Il faut la déroute financière pour admettre que la France travaille, chaque année, quatre à cinq semaines de moins que ses concurrents... Se lève ainsi la question centrale de l'élection : s'il faut en finir avec un échec trentenaire, s'il y a urgence à être enfin “réactionnaire” au sens propre du mot, comment lessiver la République sans jeter le bébé avec l'eau du bain ? ». Franz-Olivier Giesbert (19/01) n'est pas en reste, il explique que « La perte du triple A provoquera fatalement une hausse des taux d'intérêt, donc des difficultés dans les entreprises, donc une augmentation du chômage. Mais on ne peut exclure qu'elle déclenche aussi un sursaut en ouvrant les yeux des Français sur l'insanité des politiques publiques depuis trente ans. Il y a longtemps que notre journal prêche dans le désert en dénonçant l'irresponsabilité de gouvernements qui, depuis les années 80, financent le « modèle social français » par le déficit et l'endettement. ». Nicolas Baverez ne dit pas autre chose (Le Point 19/01) : « La dégradation financière de la France et de la zone euro peut être un électrochoc salutaire si elle recentre l'élection présidentielle sur la fin de la croissance à crédit et la réinvention du modèle français et si elle oblige les dirigeants de la zone euro à apporter une réponse immédiate au problème du financement des États et de la croissance ». Erik Izraelewicz (le Monde 15/01) estime qu' « elle sanctionne sans état d'âme la politique économique française de ces dernières années, celle notamment du chef de l'État, qui avait fait de la préservation des trois A la fin première de sa stratégie. Nicolas Sarkozy n'aura pris que trop tardivement conscience de la nécessité de réduire les déficits et de lutter contre l'endettement... Il y a clairement aujourd'hui au sein de la zone euro deux Europes. Les agences de notation n'avaient guère apprécié l'agressivité de Nicolas Sarkozy à leur égard pendant la crise des subprimes. Elles prennent peut-être un peu leur revanche aujourd'hui. La gauche n'a guère de raisons de s'en réjouir. »

 

Un enjeu électoral

 

Annie Kahn (le Monde 18/01) suggère : « Pour le gouvernement, l'amélioration de la compétitivité exige des réformes structurelles, afin d'assouplir les règles du chômage partiel et de réformer le droit du travail. Les salaires et le temps de travail doivent pouvoir s'adapter à la conjoncture économique... Dans l'argumentaire qui accompagne sa décision de dégrader la France, l'agence Standard & Poor's pointe “des divergences de compétitivité” entre pays de la zone euro, et notamment entre Paris et Berlin. » Pour Le Parisien (17/01) « C’est une mauvaise nouvelle, mais qui tombe plutôt bien pour certains. À trois mois de la présidentielle, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et François Bayrou, qui se posent en candidats anti-système, espèrent bien tirer profit de la perte du triple A. » Le même journal remarque (16/01) « Nicolas Sarkozy se montre prudent sur la sortie de crise...  À la fin du mois, il s’adressera une nouvelle fois aux Français pour dévoiler les mesures qu’il compte adopter après le sommet social du 18 : flexibilité du travail, formation des chômeurs, TVA sociale (qui sera rebaptisée)... Sarkozy continue de demander à ses troupes de défendre son bilan, ses réformes. » Michel Sapin (Libération 16/01) peut déclarer : « Ce n’est pas la décision de Standard & Poor’s qui fait découvrir à la gauche l’état du pays ! Ce n’est pas non plus à une agence de notation de faire la politique de la France et encore moins le projet de François Hollande... L’austérité est une voie sans issue qui plonge les pays la mettant en œuvre dans la récession sans leur donner les moyens de redresser leurs comptes publics. C’est la voie dans laquelle Nicolas Sarkozy nous a engagés. Il faut y faire obstacle. Responsabilité, justice, croissance permettront de redresser la France. » Yves Thréard (Le Figaro 16/01) rétorque : « Avec la dégradation de la note française par l’agence Standard & Poor’s, on ne pouvait rien attendre d’autre de François Hollande qu’un violent réquisitoire contre la politique de Nicolas Sarkozy... François Hollande est un homme sous influence. Celle de son propre parti, dont le feuilleton de la primaire a montré l’étendue du dogmatisme. Celle de ses alliés écologistes et communistes aussi, qui ne se privent de le rappeler à l’ordre de leurs priorités. François Hollande ne peut à la fois plaire à ses camarades et promettre à la France un avenir meilleur. »

 

De l'utilité de la rigueur

 

 

Le Figaro (16/01) pointe les critiques de l'agence de notation « Une erreur de diagnostic ! C’est, selon Standard & Poor’s, ce qui serait en train de précipiter l’euro dans le gouffre... »  Les Européens sont en effet convaincus que « cette crise provient essentiellement des déficits budgétaires excessifs accumulés par les États périphériques ». Ce qui les amène à privilégier les mesures de rigueur. Erreur, estime S&P, à rebours du discours classique des agences de notation : « Un processus de réformes basé sur le seul pilier de l’austérité budgétaire risque d’aller à l’encontre du but recherché. » Les plans d’austérité créent de l’inquiétude chez les citoyens : ces derniers consomment moins, entraînant le ralentissement de l’économie et réduisant, in fine, les recettes fiscales de l’État... Poursuivant son raisonnement, Standard & Poor’s en vient même à estimer qu’une règle d’or européenne, limitant constitutionnellement les déficits, n’est pas la panacée...  Pour S&P, les vraies raisons de la crise viennent « de divergences croissantes en matière de compétitivité entre les pays du noyau dur de la zone et les pays dits périphériques » . Autrement dit, si les pays périphériques n’arrivent pas à s’en sortir, ce n’est pas tant à cause du niveau trop élevé de leur dette que de leur incapacité à générer une croissance solide. » Les Échos soulignent « La dégradation de la note de la France et de celles de huit de ses voisins européens porte un nouveau coup, sévère, à la zone euro. » Standard & Poor's aurait pu dégrader uniformément l'ensemble de la zone euro. Elle a choisi, vendredi, d'accorder un traitement différencié à chacun, prenant le risque d'accroître un peu plus les tensions politiques et financières au sein de la zone euro. Ses conséquences pour les marchés « sont pires qu'une dégradation pour l'ensemble de la zone euro, en raison des querelles politiques croissantes qu'elle va impliquer, des débats en cours sur le montant des pare-feu et de l'inquiétude des investisseurs », estiment les économistes de Royal Bank of Scotland (RBS)... Angela Merkel a demandé que le pacte budgétaire, actuellement en négociation, soit mis en œuvre « rapidement ». Étienne Lefebvre (Les Échos 16/01) soutient que « la meilleure défense du chef de l'État étant l'attaque, il est plus que jamais décidé à faire voter d'ultimes réformes avant la présidentielle... Et François Fillon de les lister : formation accrue des demandeurs d'emploi, accords de compétitivité encouragés dans les entreprises, TVA sociale pour abaisser le coût du travail. Ces réformes sont jugées plus pertinentes au vu de la conjoncture qu'un troisième plan de rigueur... La perte du triple A et les motivations avancées par Standard & Poor's incitent aussi l'exécutif à faire une TVA sociale clairement orientée sur la compétitivité des entreprises, et plus particulièrement de l'industrie. En clair : la baisse des charges doit être concentrée sur les cotisations patronales, et non salariales, et elle doit concerner en priorité les cotisations patronales portant sur des salaires autour de 1,5 à 2 SMIC. » Henri Sterdyniak estime pour sa part (Libération 17/01) : « Cette dégradation marque surtout la faillite des prétendues politiques de sortie de crise mises en œuvre depuis plus de deux ans, non seulement en France, mais aussi dans les autres pays européens. L’idée que l’on puisse rassurer les marchés financiers avec des politiques d’austérité généralisées, sans le moindre mécanisme de solidarité fort et incontestable, est absurde. Cette stratégie plonge la zone euro dans la récession. » Le dernier mot sera pour Denis Kessler, qui réitère son vœu pour la fin du modèle social français : «  J'aimerais que, à la fin de la campagne, le pays soit prêt à faire un pacte. Qu'il s'entende non seulement sur la nécessité absolue de baisser les déficits, mais aussi sur les voies à suivre pour le faire. Si la réduction des déficits est financée principalement par une hausse des prélèvements, on ne pourra pas rembourser la dette, car on dégradera définitivement la compétitivité du pays... Un modèle social financé à crédit n'est pas durable. Il faut réinventer un modèle social adapté à notre temps. Les pays qui résolvent le problème de leur dette ont d'ailleurs tous procédé à des réformes en profondeur de leur modèle social. Pour l'avenir, l'essentiel est de trouver un nouvel arbitrage entre accumulation et répartition... Il est temps de redonner la priorité à l'accumulation sous toutes ses formes — capital humain et capital productif —, il est temps de refaire du secteur productif une priorité, de remettre l'usine au centre du village. C'est là le véritable choix de société... Dans notre histoire, la discipline nous a quasiment toujours été imposée de l'extérieur. Nous paraissons incapables de nous l'administrer volontairement, en temps et en heure. Et, même aujourd'hui, nous tardons à prendre les mesures nécessaires, avec courage et détermination. On croit qu'il existe toujours une échappatoire. »

 

La Revue du Projet, n° 14, février 2012

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le 17 February 2012

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