« Marx et la culture »Europe, n°988-989, août-septembre 2011.par Stéphanie LoncleLe dossier de la revue Europe intitulé « Marx et la culture » réunit 15 articles très hétérogènes. Le flou artistique qui entoure les usages du terme « culture » est l’une des causes de cette disparité : les introductions des articles témoignent de la difficulté que les auteurs ont eu à circonscrire leur sujet. La culture devient alors un prétexte pour parler de Marx, et le volume fournit un échantillon significatif des différents usages de la pensée marxiste dans le champ intellectuel contemporain.Trop souvent, parler de Marx permet surtout de régler des comptes politiques et de distribuer les bons points. En condamnant telle ou telle lecture de Marx comme « stalinienne », certains auteurs légitiment du même coup leur propre lecture, et en empêchent la critique. Cette façon de classer et juger des penseurs relève d’un dogmatisme qui n’aurait pourtant rien à envier à ce que le terme « stalinisme » sert souvent à décrier.D’autres articles adoptent une démarche didactique : il s’agit de délivrer un enseignement sur la façon dont Marx concevait la culture. Isabelle Garo reprend ainsi son intervention au séminaire Marx au XXIe siècle : l’esprit et la lettre, déjà publiée en ligne sous le titre « Marx et la critique de l’esthétique ». De même, Michel Vovelle offre une synthèse sur « Karl Marx et la Révolution française ». Ces articles participent du mouvement actuel de promotion de l’œuvre de Marx qui met sur le même plan l’homme, sa pensée et ses écrits. Le risque est alors de glisser de la pensée critique à l’hagiographie : d’affirmer la valeur de la pensée marxiste sans l’interroger ou la démontrer. L’enseignement s’adosse à la valeur du mythe pour le transmettre, au risque d’oublier d’interroger certaines catégories : ici les notions de « classique », de « valeur littéraire » et même d’« auteur » restent des impensés. C’est la limite d’un enseignement historique et philosophique sur « Marx et la culture » qui ne se nourrit pas des apports théoriques et pratiques des études littéraires.Certains articles échappent cependant à ces écueils et donnent à lire une véritable critique des valeurs culturelles attachées à la figure de Marx. Une réflexion croisée sur les pouvoirs de la littérature s’engage entre les articles d’Enrique Dussel (« Les métaphores théologiques de Marx ») et d’Andrew Fennberg (« Le marxisme et la critique de la rationalité sociale »). L’article de Frederic Jameson sur le film d’Alexander Kluge, Nouvelles de l’Antiquité idéologique, participe au même type de réflexion critique, aussi bien sur le fond que sur la forme : une pensée critique qui s’énonce au présent et nous aide à penser la valeur et le pouvoir de deux objets politiques parce que culturels, « Marx » et « la culture ».
La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012
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