Par Jean QuétierLe dernier livre de Franck Fischbach commence pour ainsi dire là où le précédent s’achevait. Alors que Sans objet définissait l’aliénation fondatrice du mode de production capitaliste par la genèse d’un sujet irrémédiablement coupé de tout rapport réel à l’objectivité, La privation de monde développe les conséquences de cette union manquée. Pour exposer les paradoxes de ce qu’il nomme une « mondialisation sans monde », Franck Fischbach fait se rencontrer deux univers théoriques qui peuvent sembler difficilement conciliables : celui de Marx et celui de Heidegger. À l’analytique existentiale, il emprunte en effet la notion d’être-dans-le-monde, irréductible à toute relation abstraite entre un sujet et un objet indépendants et préconstitués. Le matérialisme historique constitue néanmoins le chaînon nécessaire pour penser la privation de monde, l’extraction des individus hors du monde sous l’effet du capital. L’aliénation qui dépouille les existants de l’être-dans-le-monde qui leur est propre et qui fait d’eux des sujets sans monde, déforme même l’espace et le temps au point de les rendre contradictoires. Alors que l’augmentation incessante de la vitesse de circulation des marchandises bouleverse et anéantit les distances, l’exigence de la productivité maximale provoque l’émergence de gigantesques structures capables d’amonceler la main-d’œuvre en un même lieu. Le mode de production capitaliste est le seul à se croire éternel mais il est aussi le seul à révolutionner constamment ses propres conditions de possibilité. Franck Fischbach désigne alors ce qui est à la fois le cœur de l’aliénation et le lieu de naissance possible de sa fin : le monde du travail. Toujours à la croisée entre Marx et Heidegger, il puise l’idée d’un concept ontologique du travail dont le capitalisme serait la négation directe. Avec une perspective qui, plus que jamais, nous concerne directement, celle de libérer le travail.
La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012
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