La construction d’un droit universel à l’énergie, qui devra être le plus « décarboné » possible, implique de renverser les logiques qui régissent actuellement l’accès et le partage des ressources énergétiques, la production et la distribution de l’énergie.
La trajectoire des émissions actuelles de gaz à effet de serre (GES) vient valider une hypothèse de hausse de la température moyenne, à l’échelle du globe, plus proche des + 4°C d’ici 2100 que des + 2°C prônés par le GIEC pour éviter le risque d’emballement climatique et d’effets non maîtrisables. Non seulement cette situation place les pays les plus émetteurs de GES face à leurs responsabilités à agir pour une décroissance rapide de leurs émissions, mais elle impose aussi de porter une attention spécifique aux enjeux énergétiques, notamment le développement et la réalisation d’un véritable droit universel à l’énergie permettant de satisfaire les besoins humains les plus fondamentaux dans les pays du Sud. La construction de ce droit à l’énergie, qui devra être le plus « décarboné » possible, implique de renverser les logiques qui régissent actuellement l’accès et le partage des ressources énergétiques, la production et la distribution de l’énergie.
Soyons explicites lorsque nous présentons un tel enjeu : il s’agit de considérer l’énergie et l’accès à l’énergie comme un « bien commun » de l’humanité. Il s’agit donc de dépasser progressivement les liens de domination économique et politique, voire militaires, souvent historiques, qui se sont construits autour de l’accès aux ressources énergétiques, à la production et à la distribution d’énergie, pour leur substituer une entreprise de coopération énergétique mondiale, avec des déclinaisons régionales et infra-régionales. Et il s’agit pour cela de placer les intérêts sociaux et environnementaux des peuples avant les intérêts particuliers capitalistes et leurs traductions en termes de compétition internationale dans ce secteur stratégique. Bien évidemment, l’impulsion vers cette nouvelle coopération énergétique ne peut s’affranchir des réalités.
Une mosaïque institutionnelle
D’une part, certains pays ont la chance de disposer de ressources énergétiques très abondantes tandis que d’autres sont aujourd’hui largement tributaires des importations. Des pays émergents voient leur demande d’énergie par habitant croître très fortement, avec une croissance économique soutenue fondée sur l’extension du capitalisme mondialisé. Enfin, un très grand nombre de pays restent dépendants de sources d’énergie traditionnelles pour satisfaire les besoins d’une grande part de leur population.D’autre part, il existe aujourd’hui une multitude d’institutions plus ou moins spécialisées : Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), Agence internationale de l’énergie (AIE), Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), traité de la Charte de l’énergie… Toutes ont été créées pour répondre avant tout aux intérêts de puissance et de domination des États dans l’accès à l’énergie. D’autres organisations spécialisées ont émergé sur des enjeux précis, comme l’Agence internationale des énergies renouvelables (IRENA) ou le Partenariat international de coopération sur l’efficacité énergétique (IPEEC). Enfin, les grandes organisations internationales (ONU avec la création de l’UN-Energy, mais aussi l’OMC et l’OTAN) cherchent à inclure les enjeux énergétiques dans leurs politiques. Cette véritable « mosaïque institutionnelle » ne permet pas de définir les orientations déterminantes pour conduire un autre avenir énergétique répondant aux enjeux d’un développement humain durable.
Les étapes pour un développement humain durable
Dans un premier temps, il apparaît essentiel de favoriser le rapprochement de structures de coopération existantes modifiées, comme un Conseil mondial de l’énergie remanié, et de favoriser la création d’une « organisation mondiale de l’énergie » adossée au système des Nations Unies. Ces structures, regroupant tous les pays et garantissant la voix de chacun d’eux, seraient chargées d’arrêter un certain nombre d’objectifs planétaires contraignants, de contrôler leur mise en œuvre et d’apporter un véritable appui technique désintéressé et permanent pour conseiller les pays du Sud dans leurs choix énergétiques. On pense bien évidemment au partage des connaissances, des résultats de la recherche sur les énergies décarbonées, et à la diffusion des techniques. Mais il faut aussi pouvoir créer un cadre juridique suffisamment étoffé pour permettre aux pays membres d’asseoir le caractère de « bien commun » des ressources, en maîtrisant notamment leur exploitation dans l’intérêt des peuples et non dans celui des seules transnationales de l’énergie du Nord.
Cette nouvelle organisation de la coopération énergétique mondiale doit également pouvoir bénéficier rapidement de la mise en place d’un Fonds international d’aide à la réalisation du droit à l’énergie décarbonée, doté de moyens suffisants, et qui permettrait d’appuyer fortement les investissements vertueux en direction des populations les plus vulnérables sur le plan énergétique. Comme je le soulignais dans une récente proposition de résolution1 « alors que les contours de l’annonce d’un Fonds vert pour lutter contre le changement climatique, à hauteur de 100 milliards d’euros annuels en 2020, demeurent flous et soumis à la définition de nouvelles innovations financières par les grandes puissances, la France pourrait proposer d’asseoir la constitution de ce Fonds international sur la base d’une contribution sur les ressources financières liées aux énergies fossiles (ce qui inclut la distribution) et sur un engagement permanent des pays développés, assis en partie sur leurs niveaux d’émissions. » Compte tenu des objectifs fondamentaux que nous portons en matière de droit à l’énergie, et des objectifs portés par le GIEC dans la lutte contre le réchauffement climatique, de telles mesures structurelles nous semblent prioritaires.
*André Chassaigne est député PCF du Puy-de-Dôme, président du groupe Front de gauche Auvergne.
1) Proposition de résolution au titre de l’article 34-1 de la Constitution (n°3815) sur les engagements internationaux à tenir en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de la préparation de la Conférence de Durban (CoP 17), déposée le 14 octobre 2011 à l’Assemblée nationale. Disponible sur : http://www.assemblee- nationale.fr/13/propositions/pion3815.asp La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012
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