La question du droit à l’énergie est essentielle car l’énergie permet non seulement de se chauffer, s’éclairer mais également d’accéder à la santé, à la culture, à l’éducation. Or son accès est loin d’être gagné puisque 1,6 milliard de personnes n’ont toujours pas accès à l’électricité et 8 millions de français vivent en précarité énergétique.
L’accident de Fukushima a remis au devant de la scène la production d’énergie à partir de l’atome. Malgré tout, le débat concerne la politique énergétique dans sa globalité en partant de la nécessaire réponse aux besoins. Il y a urgence à réduire les inégalités sur la planète, entre les pays et, à l’intérieur des pays, entre les citoyens. Le développement qui creuse les inégalités n’est pas envisageable, il n’est plus acceptable que le développement des uns se fasse au détriment de celui des autres. Il est impératif de réfléchir à d’autres modes de développement qui réduisent les inégalités. Le développement de nos pays occidentaux, fondé sur l’énergie et par conséquent essentiellement sur la possession des ressources fossiles, nous a conduit à nous accaparer celles-ci, bien souvent de manière peu pacifique, à tel point que leur existence a été qualifiée par certains pays africains de « malédiction des sous-sols », car source de conflits. Par conséquent, il est nécessaire que celles-ci soient considérées comme des biens publics mondiaux de l’humanité, à gérer collectivement.
Prendre à bras le corps la question du réchauffement climatique
L’urgence aujourd’hui est de prendre à bras le corps la question du réchauffement climatique. Si nous n’arrivons pas à le stabiliser, c’est à dire le limiter d’ici 2050 à 2°, ce qui signifie pour un pays comme la France diminuer par quatre ses émissions de CO2, les conséquences seront très sérieuses. Elles auraient à voir directement avec les questions de l’eau, que cela soit dû à la montée des océans – qui rayera par exemple les Maldives du globe, ce qui incite son président à chercher un point de chute pour les 300 000 personnes composant sa nation ou provoquera le débordement de lacs et mettra en péril des villages entiers comme au Bhoutan – ou à l’accentuation de la sécheresse dans des zones déjà très sèches. On peut constater que les régions qui souffriraient le plus sont celles déjà touchées de plein fouet par les problèmes de satisfaction des besoins élémentaires, comme l’Afrique. Les millions de réfugiés climatiques qui en découleraient poseraient des problèmes de tension géopolitiques extrêmement graves. Cela conduit à développer l’idée, pour gagner un développement humain durable, d’utiliser le mix énergétique le mieux approprié à chaque pays en fonction de son histoire, de son niveau technologique, de sa géographie … s’appuyant sur des économies d’énergie et remettant en cause les modes de développement qui ont conduit à la situation actuelle.Prendre des décisions pour économiser l’énergie c’est par exemple isoler massivement l’habitat, revoir l’urbanisme et l’aménagement du territoire, développer les transports collectifs, relocaliser des productions. Ce sont des décisions lourdes et structurantes, très politiques, qui disent la société dans laquelle nous voulons vivre ensemble.Dans ce mix, la recherche joue un rôle fondamental. En effet, c’est elle qui permettra d’amener à maturité des technologies permettant de vraies ruptures comme le stockage de l’électricité ou la fusion, mais également plus proche de nous des progrès dans l’énergie solaire avec l’utilisation de nouveaux matériaux et l’amélioration des process de production, ainsi que dans le domaine du nucléaire avec l’introduction rapide de la génération 4. Le captage et stockage du CO2 sont également un champ à approfondir pour arriver à industrialiser ces technologies.
Un mix énergétique
Utiliser toutes les formes de productions d’énergie dé-carbonnée sans oublier de raisonner globalement et de prendre en compte tous les matériaux nécessaires, comme les terres rares de plus en plus présentes dans les technologies de pointe (aimant d’éolienne, cellules photovoltaïques, batteries…) et de mesurer les effets sur le système global (réseaux de transport et distribution, interconnexion et bien entendu coûts…).Dans l’état actuel de nos connaissances, l’énergie nucléaire a une place incontournable dans le mix énergétique. Cette industrie doit recevoir tous les atouts de la sûreté : une parfaite maîtrise technologique, une autorité de sûreté indépendante, un statut de haut niveau pour tous les travailleurs du secteur, une organisation et des conditions de travail irréprochables. En effet un des premiers facteurs en termes de sûreté, c’est le facteur humain. Au niveau mondial, le développement de cette forme de production d’énergie continuera, et c’est nécessaire compte tenu de tous les enjeux évoqués précédemment. Les grands programmes nucléaires dans le monde n’ont pas été arrêtés.Si l’Allemagne a quant à elle annoncé sa décision de sortir du nucléaire, elle va faire appel, pour compenser la production manquante, au charbon et au gaz. Elle émettra donc davantage de CO2 dans l’atmosphère, ce qui signifie que la question du réchauffement climatique et de ses conséquences sur les peuples de la planète, en particulier les plus pauvres qui seront les plus touchés, apparaît secondaire à ses yeux. Le bilan de ce choix devra également être fait d’un point de vue des coûts, puisque 4000 kms de lignes électriques supplémentaires vont notamment devoir être construites pour rapatrier l’électricité produite par les parcs éoliens offshore en mer du Nord dans la partie sud de l’Allemagne où se situe principalement la consommation. Des subventions seront accordées aux entreprises pour compenser les augmentations de tarif. In fine ce sont encore les usagers qui payeront. Le scénario Négawatt tracerait la voie d’un avenir sans nucléaire. Celui-ci part de l’hypothèse de la sortie du nucléaire et cherche à faire rentrer au chausse-pied les besoins dans une chaussure trop petite s’il faut en même temps répondre aux enjeux climatiques. Hormis le fait qu’aucune analyse économique et sociale n’est faite et qu’il existe une impasse complète sur les infrastructures réseau, le pari sur des technologies non matures comme la méthanation risque dans ce scénario de conduire à recourir fortement aux ressources fossiles.
Le nucléaire avec ou sans la France ?
La question posée aujourd’hui n’est pas de savoir s’il y aura ou non production d’énergie nucléaire mais si cela se fera avec ou sans la France, et dans quelles conditions. C’est ce que doit nous enseigner Fukushima : il est indispensable que le secteur énergétique, hautement stratégique, soit sous maîtriste publique, au travers d’une appropriation sociale du secteur matérialisée par un pôle public de l’énergie, qui permette d’aller vers des nationalisations nouvelles.Si nous laissons ce secteur aux mains des libéraux nous allons au devant de risques importants et rien n’est exclu. C’est pour cette raison que le point fondamental aujourd’hui n’est pas la dispute sur telle ou telle technologie mais plutôt d’unir nos efforts sur la maîtrise publique de tout le secteur. Pour terminer, je souhaiterais, pour alimenter le débat partager quelques réflexions. Le choix de la politique énergétique structure fortement la société. Nous avons besoin d’énergie pour satisfaire nos besoins. Plus d’énergie qu’aujourd’hui afin que tout citoyen sur terre puisse y avoir accès. Et en proportion plus d’électricité pour contraindre le réchauffement climatique.Chaque forme de production d’énergie possède ses avantages et ses inconvénients. Il n’y a pas de solution magique. Souvent, ceux qui craignent la production d’énergie nucléaire en invoquant une technique compliquée et non maîtrisable projettent une foi démesurée sur une technique providentielle qui résoudrait tous nos problèmes. La crainte subjective ou l’espérance infinie dans la science relèvent de la même méconnaissance. Ceux qui de bonne foi craignent l’énergie nucléaire et veulent en sortir n’ont pas forcément conscience qu’ils ne font que déplacer les risques sur d’autres. En effet, l’énergie consommée ici sera produite ailleurs à partir du charbon ou du gaz dans des endroits où souvent les conditions sociales et environnementales sont moins bonnes. Le risque est donc délocalisé. Est-ce acceptable ?
Au fond, les questions qui nous sont posées collectivement rejoignent des préoccupations et interrogations plus vastes et touchent à des problèmes fondamentaux pour nos sociétés. Elles nous interrogent sur nos modes de développement, sur la gestion du risque dans une société industrialisée, sur la capacité de l’homme à maîtriser la complexité. Cette réflexion s’inscrit dans une période de recul de la place de la science dans la société. Initiée par la rupture du lien entre progrès technique et progrès social, alimentée par les scandales tels le sang contaminé ou plus récemment ceux de l’industrie pharmaceutique (Médiator, prothèses…). C’est la parole de l’expert, du scientifique (qui peut être le médecin) qui est mise en doute avec celle du politique. C’est par exemple aux États-Unis la contestation de la théorie de l’évolution, et plus récemment, celle du réchauffement climatique.Période bousculée et instable, certains la nomment intercalaire, on pourrait également la qualifier de charnière. Mais pour ce qui est des questions énergétiques, où nous avons besoin de nous projeter un demi-siècle à l’avance, l’instant n’est pas simple, alors que nous sommes à la croisée des chemins. La seule issue est un véritable débat démocratique serein et sans tabous tel que le propose le Front de Gauche.
*Marie-Claire Cailleteau est responsable de la Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT.
La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012
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