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Les défis d'une gestion durable de l'énergie, Bernadette Mérenne-Schoumaker*

Choisir la voie du développement durable en matière d’énergie implique donc d’abord de chercher à comprendre les problèmes énergétiques dans leurs différentes dimensions : techniques, politiques, économiques, environnementales et sociales et ce aux différentes échelles spatiales.

L’énergie est indispensable à la vie. Mais c’est aussi un bien qu’il faut produire, transporter, distribuer, ce qui a un coût et n’est pas exempt de nuisances. Avec l’augmentation de la population et des consommations, les tensions s’accroissent et les questions se multiplient : comment faire face à l’épuisement à terme des énergies fossiles, comment développer les énergies renouvelables, comment assumer l’inévitable augmentation des prix, comment réduire les effets environnementaux des productions et des consommations, facteur premier du réchauffement climatique… ? Les interrogations sont multiples et alimentent de nombreux débats car les réponses ne sont guère simples et impliquent des choix difficiles et non univoques car, derrière ces choix, se profilent des valeurs qui sont loin d’être partagées par tous. Cependant, quelles que soient les opinions, ces choix nous semblent indispensables si l’on veut assurer un avenir à l’humanité. En effet, le système actuellement en vigueur n’est pas durable ni économiquement, ni socialement, ni en termes environnementaux. 

Consommer mieux et moins

 

Quels sont dès lors les défis d’une gestion durable de l’énergie ? Il s’agit d’abord de réduire les consommations en économisant au maximum l’énergie et en accroissant l’efficacité et, parallèlement, de diversifier les ressources et les approvisionnements.

Ces changements doivent par ailleurs intervenir dans quatre champs prioritaires : transports et mobilité, aménagement du territoire et urbanisme, modes de consommation et réduction des inégalités (B. Barré et B. Mérenne-Schoumaker, 2011).Les économies d’énergie sont certainement l’axe prioritaire : il faut consommer mieux et moins, surtout dans les pays ou secteurs où l’on surconsomme : les pays développés, certains espaces des pays émergents, certains secteurs d’activités comme la production d’énergie elle-même, les transports ou le logement. Cette réduction drastique des consommations passe non seulement par des solutions techniques mais aussi par de nouveaux comportements que nous évoquerons plus loin. En termes techniques, il faut accroître l'efficacité énergétique ou rapport entre ce que produit un dispositif ou un système, et ce qu'il absorbe comme énergie ce qui implique des progrès technologiques, donc des recherches et des moyens financiers mais aussi un cadre législatif et des aides pour contraindre, pénaliser ou favoriser, en d’autres termes des « bâtons » et des « carottes ». 

 

Des bouquets énergétiques spécifiques

 

Diversifier les ressources et les approvisionnements est aussi indispensable ; il faut que les choix différent selon les lieux car ils doivent intégrer les ressources disponibles, les types de milieux (urbains ou ruraux), la situation géographique, les contraintes des approvisionnements, les moyens financiers et technologiques… Nous plaidons ainsi pour des bouquets énergétiques spécifiques à toutes les échelles (locales, régionales, nationales) plus en adéquation avec les potentialités et les spécificités des territoires ; bien entendu, cela ne doit pas empêcher la promotion de solidarités entre pays et surtout entre les plus développés et les plus pauvres principalement en matière de transfert de technologies.   Nos modes de vie et la mondialisation croissante de l'économie et du commerce ont entraîné un important développement des transports. Or ceux-ci représentent aujourd’hui 28 % de la consommation mondiale d’énergie : ils sont à 93 % dépendants des produits pétroliers et leur part dans la demande finale de ces produits devrait passer de 50 % en 2000 à 60 % en 2030. Face à la pénurie annoncée de pétrole et l’impérieuse nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, agir sur les transports est devenu un impératif. Deux axes semblent alors s’imposer : transporter "moins" en réduisant les volumes de trafic (le nombre de déplacements, les distances parcourues par les hommes et les marchandises…) et transporter "mieux" en favorisant un report des trafics routiers vers les modes moins consommateurs et moins polluants (ferroviaire, fluvial, transports collectifs, marche à pied…). 

 

Réduction de l’étalement urbain

 

Les densités comme la répartition des activités et des hommes sur un territoire ont un effet sur la consommation d’énergie car elles conditionnent les flux, les distances parcourues, les modes de transport utilisés et parfois les coûts de chauffage. On oppose ainsi la ville compacte favorisant les déplacements de courte distance et l'utilisation des transports publics aux villes étalées, villes avec des grandes distances à forte spécialisation fonctionnelle (zonage de l'habitat, des activités, des services et des espaces de loisirs). Consommer mieux l’énergie tout en consommant moins passe donc par la réduction de l’étalement urbain et par une plus grande mixité des fonctions.    Si les politiques de maîtrise de la demande d’énergie ont assez bien réussi auprès des industriels, il n’en va pas de même pour les ménages qui continuent à accroître leur consommation. Or il existe en ce domaine d’importants gisements d’économies possibles non seulement au niveau du chauffage ou de l’éclairage mais encore des loisirs-culture et du bureau. Il faut donc amplifier les instruments de politiques publiques (fiscaux, réglementaires, de sensibilisation) et sans doute les compléter. Ainsi, il serait utile de promouvoir davantage les circuits courts ou de renforcer les normes de l’étiquette énergie mise au point par la Commission européenne. Il faut aussi mieux informer et former les populations dès l’école élémentaire. Comme pour les transports, il s’agit de consommer moins et de consommer mieux.Aujourd’hui plus que jamais, l’accès à l’énergie se répartit de façon très inégale sur la Terre : entre les continents, entre les pays et aussi et, de plus en plus, au sein d’un même pays ; un quart de la population mondiale consomme les trois-quarts de l’énergie. De telles inégalités ne peuvent perdurer car elles mettent en cause l’avenir même du Monde condition indispensable non seulement à leur développement mais encore à des conditions de vie plus décentes. Quelles sont les voies possibles, comment mettre en place un nouvel ordre économique mondial ? Des réponses technologiques sont sans doute indispensables mais elles ne peuvent suffire ; il faut y ajouter un important volet politique et comportemental.

D’autres modèles de développement

 

Ainsi, une décroissance de 3 % des consommations d’énergie des pays de l’OCDE d’ici 2020 permettrait une quasi-stagnation des consommations mon­diales et cette décroissance pourrait venir en grande partie des gains d’efficacité (R. Bonnaterre, Le blog des énergies nouvelles, 27 mai 2009).Par ailleurs, il est indispensable de concevoir pour le Sud d’autres modèles de développement que ceux qui ont été développés dans le Nord en privilégiant trois pistes majeures : une plus forte diversification des ressources, un plus grand recours aux énergies renouvelables et une plus grande efficacité énergétique, ce qui impose une aide technique et financière des pays du Nord. Dans les pays développés, il faut sans doute aussi moins aider les plus riches et taxer leurs surconsommations pour aider les plus pauvres en supprimant par exemple les aides à l’installation de panneaux photovoltaïques aux particuliers pour disposer de plus de moyens pour isoler les logements sociaux.

Une vie agréable mais plus sobre

 

Comme le dit bien P. Radane (2005, pp. 239-241), « il est totalement suicidaire de voir les uns acculés dans le dénuement, tandis que d’autres s’installent dans le gaspillage et la destruction. Il faut ouvrir une voie politique qui prenne acte de l’expansion humaine et qui assure l’indispensable stabilité mondiale pour un projet égalitaire. Il n’y aura de paix durable dans ce siècle que s’il y a convergence des niveaux de développement et réduction des inégalités. Et la question de l’énergie est au cœur de ce débat. […] Le nœud ne s’ouvrira que quand chacun individuellement aura perçu qu’une vie agréable mais plus sobre est possible, que de nouveaux espaces s’ouvrent heureusement simultanément pour enrichir nos vies et que cela conditionne la paix et la cohérence sociale. Là seulement sera exprimé un mandat politique clair ».  À cette fin (J.-M. Chevalier, 2009, p. 288), « Il faut donc re-politiser les questions énergétiques et ce, à tous les niveaux : mondial, régional, national et local […]. Il faut à la fois renforcer la régulation mondiale et inventer de nouvelles formes de régulation pour mieux réglementer des problèmes tels que l’argent et la finance, la pollution et des questions comme le droit de la mer, les droits de propriétés, les responsabilités des États, des entreprises et des particuliers, le règlement des conflits et des différents. […] La mondialisation de l’économie s’est beaucoup accélérée depuis quelques années mais la mondialisation de la géopolitique est beaucoup plus lente. Les nations sont toujours là, défendant égoïstement leurs richesses, leurs intérêts locaux et leurs ambitions ».Un autre monde dit P. Papon (2007, p. 256), « c’est un univers où l’énergie n’est plus seulement un enjeu de puissance mais où elle est aussi un facteur d’un développement plus équitable. Un débat est donc nécessaire sur les enjeux, les moyens des politiques énergétiques et les options qui sont ouvertes. Il y a nécessairement des dimensions politiques, scientifiques et techniques mais aussi éthiques. ».

 

Choisir la voie du développement durable en matière d’énergie implique donc d’abord de chercher à comprendre les problèmes énergétiques dans leurs différentes dimensions : techniques, politiques, économiques, environnementales et sociales et ce aux différentes échelles spatiales afin de pouvoir se questionner correctement et se forger une opinion et in fine pouvoir faire des choix en connaissance de cause.

*Bernadette Mérenne-Schoumaker est professeure de géographie à l’Université de Liège.

Bibliographie

- Bertrand Barré, Bernadette Mérenne - Schoumaker, Atlas mondial des énergies. Mieuxconsommer dans un monde global, Autrement, 2011.

- Jean-Marie Chevalier Les nouveauxdéfis de l’énergie, Climat-Economie-Géopolitique, Economica, 2009.

- Bernadette Mérenne - SchoumakerGéographie de l’énergie, Acteurs, lieux etenjeux, Belin SUP Géographie, 2007 et 2011.

- Pierre Papon L’énergie à l’heure deschoix, Belin, 2007.

- Pierre Radanne Énergies de ton siècle !Des crises à la mutation, Editions Lignes deRepères, 2005.

La Revue du Projet, n° 13, janvier 2012

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le 17 January 2012

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