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La république : un enjeu séculaire, Raymond Huard*

Comparée à d’autres pays d’Europe, la France présente une particularité notable, c’est d’avoir connu cinq régimes républicains de caractère différent qui ont marqué profondément son histoire.

De ce fait, la République a été un enjeu séculaire pour lequel on a combattu, souffert parfois, quand elle était absente. Et une fois réapparue, le désir  de la perfectionner a toujours été vivace ce qui entretient le débat politique.

La première République

 

Elle est née en septembre 1792 à la suite de l’insurrection parisienne du 10 août qui a renversé le roi Louis XVI maintenu au pouvoir dans les premières années de la Révolution. Au moment où la France en guerre est menacée d’invasion, la royauté apparaît complice des envahisseurs, hostile aux acquis de l’ère nouvelle. Imposée par le peuple parisien aidé par des contingents de province, la première République, d’abord provisoire est mise en place à partir de juin 1793 et son action vise non seulement à repousser l’ennemi extérieur, mais à construire une démocratie élargie, reconnaissant des droits sociaux, et promouvant par un enseignement de masse, les valeurs républicaines. Elle affronte de dures oppositions qu’elle jugule par une « Terreur » légale. Après la chute, le 27 juillet 1794, du comité de salut public dirigé par Maximilien Robespierre, elle revêt un caractère plus bourgeois et son contenu démocratique est rogné. Elle est anéantie de fait par le coup d’Etat opéré par le général Bonaparte les 9 et 10 novembre 1799 (18 Brumaire an VIII), mais subsiste formellement jusqu’au passage à l’Empire en 1802. Son souvenir a profondément marqué la pensée et l’action politique pendant tout le XIXe siècle et c’est de sa chute qu’on peut dater la naissance encore très embryonnaire d’un « parti républicain ».

 

La seconde République

Près de cinquante ans après le 18 Brumaire la seconde République naît le 24 février 1848, encore une fois à la suite d’une insurrection parisienne et ouvrière qui met fin à une longue séquence de régimes monarchiques (Empire : 1802-1815 ; Restauration :1815-1830 ; Monarchie de Juillet : 1830-1848). C’est une grande aspiration à la démocratie politique (instauration du suffrage universel seulement masculin), à une prise en compte des besoins du monde du travail notamment urbain, qui, dans une atmosphère romantique, sous-tend les débuts de cette république, constitutionnalisée le 4 novembre 1848,  Mais la France des notables et la France rurale contrôlent bien vite le nouveau régime, mettent fin à la pression ouvrière (journées de juin 1848), et s’engagent dans une politique de limitation des libertés nouvellement conquises. Elles favorisent ainsi l’ascension d’un neveu de Napoléon, Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République en décembre 1848 et qui étrangle celle-ci par un coup d’état militaire en décembre 1851 avant de se faire proclamer empereur sous le nom de Napoléon III. Le spectre du coup d’Etat hantera désormais les républicains. Ceux-ci, pourchassés et proscrits, se réorganisent cependant et deviennent bientôt la principale force d’opposition. Ayant cherché une issue à ses difficultés dans une guerre extérieure qui se révélera catastrophique, le régime impérial s’écroule sans violence le 4 septembre 1870 et à nouveau la république est proclamée.

 

La troisième République

Cette IIIe République mettra cinq ans à se consolider. Elle est au départ menacée par les monarchistes, les anciens bonapartistes, mais elle conquiert l’adhésion du pays et durera 70 ans jusqu’en 1940. Il lui revient d’avoir mis en œuvre durablement les principes républicains ce que n’avaient pu faire ses devancières : les libertés fondamentales de presse et de réunion dès 1881, d’association (1901), le droit syndical (1884) la laïcité de l’école (1881-1886) puis la séparation de l’Église et de l’État (1905). Régime parlementaire, elle repose sur la prépondérance des assemblées et entretient un contact étroit avec le pays grâce aux élus locaux. Pourtant la majorité parlementaire, républicaine modérée puis radicale, inquiète devant les progrès du monde ouvrier révélés par la Commune de Paris (1871), tarde à mettre en place une politique sociale. Il faudra une forte pression populaire pour que des conquêtes sociales soient obtenues tant en 1919 qu’en 1936. A la veille de la deuxième guerre, en 1939 seul un large appui des classes populaires et ouvrières pouvait empêcher la France de résister à la vague fascisante qui touche l’Europe. Or c’est une voie inverse que suivent les gouvernants de l’époque qui après la défaite en 1940, cèdent aux factieux de droite. La IIIe République est sabordée au profit du maréchal Pétain (juillet 1940).

La quatrième République

 

Les excès du régime de Vichy dirigé par Pétain, la lutte héroïque des résistants en France même, et à l’étranger sous la conduite du général de Gaulle, le rôle décisif de la classe ouvrière dans ce combat rendaient inévitable en 1944 l’avènement d’une nouvelle république, la IVe, mais cette fois à contenu social avancé. Malgré des résistances, la constitution de la IVe République en 1946 et les principales réformes de la Libération, (vote des femmes, Sécurité sociale) mettent en œuvre au moins partiellement cette aspiration. Régime parlementaire, la IVe République a relevé le pays épuisé par la guerre. Mais une nouvelle fois, elle a évolué de la gauche vers la droite. La coupure du monde en blocs, les conflits de la décolonisation (Indochine puis Algérie) ont miné le régime. En mai 1958, une émeute à Alger le menace gravement et permet le retour au pouvoir du général de Gaulle qui impose un changement de constitution.

 

La cinquième République

La Ve République présente cette originalité de s’être imposée non contre un régime autoritaire, mais contre une autre république jugée trop démocratique. Ses fondateurs ont voulu renforcer le pouvoir exécutif au détriment du Parlement et, en rétablissant le scrutin majoritaire, ils ont affaibli l’expression de la diversité politique dans les assemblées. Dominée d’abord par la personnalité du général De Gaulle, la Ve République a connu à partir de 1969 un fonctionnement plus régulier, mais l’instauration de l’élection du président au suffrage universel en 1962 a contribué à renforcer encore l’exécutif déjà prépondérant. Contre la droite jusque-là dominante, l’alternance politique a pu être cependant réalisée d’abord entre 1981 et 1995, puis entre 1997 et 2002. Le texte constitutionnel de 1958 et la législation ont enregistré un certain nombre de mutations de caractère international, social ou de mœurs intervenues depuis le début du régime : fin de la domination coloniale, aliénations de souveraineté liées à la construction européenne, droit de vote à 18 ans, abolition de la peine de mort, parité homme/femme (proclamée plus que réalisée).

En tant que forme politique, La république n’admet qu’une seule légitimité, celle que donne périodiquement l’expression du suffrage, mais elle peut présenter des contenus divers, réactionnaires ou progressistes. Il est donc toujours nécessaire de rechercher les moyens de la rendre plus authentique et plus populaire.

*Raymond Huard est historien, professeur émerite à l’université de Montpellier.

La Revue du Projet, n° 11, octobre-novembre 2011

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La république : un enjeu séculaire, Raymond Huard*

le 14 November 2011

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