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Classe ouvrière française, classe immigrée ? Maryse Tripier*

Une classe ouvrière démantelée, précarisée, affaiblie offre des perspectives d’intégration plus difficiles, comme d’ailleurs pour la jeunesse en général.

On comptabilise les étrangers dans les recensements depuis 1851, ce qui correspond à la fixation des frontières à l’heure de la cristallisation des Etats-nations, mais les mouvements de main d’œuvre ont précédé cette classification. Auparavant existaient des migrations qu’on qualifie aujourd’hui d’internes mais qui avaient les caractéristiques qui déterminent les migrants d’aujourd’hui. Bretons, Auvergnats, paysans ne pouvant plus vivre sur leur petite propriété (cf Marx sur la « parcelle ») ont quitté leurs provinces pour chercher du travail et étaient perçus comme des « étrangers ». Belges, Allemands, Italiens, Polonais ont franchi les frontières lors de la première révolution industrielle, (mines, sidérurgie...) Italiens encore, Espagnols, Portugais, Marocains, Algériens ont accompagné la seconde (automobile, bâtiment...).Les étrangers en France (ou immigrés, car les ressortissants des colonies n’étaient pas comptabilisés comme tels) ont été et restent pour l’essentiel des ouvriers.  En 1954 sur 100 actifs étrangers on trouve  65% d’ouvriers, en 1975 cette part est de 77,3%. La part des étrangers (sans les salariés agricoles) passe de 6,1% en 1954 à 14,1% en 19751.

L’intégration des immigrés

Ce double constat nous indique que- l’intégration des immigrés et puis de leurs enfants s’est opérée dans les quartiers populaires des villes, dans les corons et plus récemment les bidonvilles, les foyers, les HLM. En effet, toute migration de travail entraîne à terme, sauf exception (comme les monarchies pétrolières du golfe) une sédentarisation, donc une immigration de peuplement. L’intégration à la France, se fait donc via la classe d’accueil, la classe ouvrière. Il faut donc, à chaque époque connaître les conditions de vie, de travail, les mouvements syndicaux et politiques pour comprendre à quel ensemble s’intègrent ces nouveaux prolétaires. Nous avons pu écrire que plus la classe ouvrière « autochtone » est « intégrée en elle-même », (concept qui s’oppose à celui d’anomie de fragmentation), mais sans fermeture xénophobe, plus l’intégration est possible, avec le temps évidemment. À l’inverse, une classe ouvrière démantelée, précarisée, affaiblie offre des perspectives d’intégration plus difficiles, comme d’ailleurs pour la jeunesse en général. La classe ouvrière, dès son essor est confrontée à la dialectique unité-diversité (âge, sexe, métier, région, origine). Longtemps certaines catégories ont servi de « locomotive ». Depuis les grèves de 1936 et pendant lesdites « trente glorieuses » en particulier : les hommes, blancs, métallos, plutôt qualifiés, dans de grandes usines. Aujourd’hui les contours de cette classe sont à redéfinir, sa place dans l’espace public est menacée par les délocalisations, la précarité, l’individualisation des salaires, etc. (Je n’entre pas dans les débats sur qu’est-ce qu’être ouvrier aujourd’hui ?)À l’inverse le caractère immigré de la classe ouvrière, en terme de nationalité, n’est pas massif, mais inégal, contrasté. Ont existé et continuent d’exister des concentrations dans certains secteurs et dans certaines régions. Ainsi quelques figures ont surgi et ont fait sens : le mineur polonais, le maçon italien, le balayeur sénégalais, la bonne espagnole, aujourd’hui le plongeur sans papier, ou la nounou africaine.

 

Le mouvement des sans papiers

 

La mondialisation  actuelle a affecté la composition de l’immigration ouvrière (le reste aussi, mais on n’en parle pas ici). Pour Castles2, la mondialisation conduit plus que jamais à faire appel à l’immigration pour les 3-D Jobs (Dirty(sale), Demanding(non délocalisable) and Dangerous(dangereux). Le mouvement migratoire se féminise et l’existence prolongée de « sans papiers » représente une dégradation des conditions de vie antérieures des étrangers. C’est devenu une « condition d’existence » et non une étape. On ne restait pas « sans papiers » dans les années 70-80 même si on subissait de nombreuses discriminations légales (liées au statut de non national) ou illégales (racisme).Le mouvement des « sans papiers » est d’une importance et d’un héroïsme trop souvent sous-estimé. Il nous montre que la question de l’unité aujourd’hui comme hier passe à la fois par de la solidarité sur place mais mobilise ce que l’on appelait l’internationalisme prolétarien qui s’était concrétisé dans la guerre d’Algérie, la lutte contre le franquisme et le salazarisme.Le mouvement ouvrier lutte contre la concurrence mais pas contre le concurrent, cela fait toute la différence avec les idées d’extrême droite .  n

M.-C. Blanc-Chaleard  [2001], Histoire de l’immigration, Paris, La Découverte, Coll. RepèresG. Noiriel [1988], Le Creuset français. Histoire de l'immigration XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil.A. Sayad [1979], “Qu’est-ce qu’un immigré ?”, in  A. Sayad [1991], L'Immigration ou les paradoxes de l'altérité,  pp. 49-77.

1) cf  Tripier [1990]L'immigration dans la classe ouvrière en France, Ed. CIEMI-L'Harmattan. Paris,  332p.  2) Castles S. [2002], “Migration and Community Formation under Conditions of Globalization”, International Migration Review, Vol. 36, n°4, pp. 1143-1168.

*Maryse Tripier est professeur émérite de sociologie à l’université Paris Diderot.

La Revue du Projet, n° 10, septembre 2011

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Classe ouvrière française, classe immigrée ? Maryse Tripier*

le 22 septembre 2011

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