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Un spectre hante la gauche : la classe ouvrière… , Guillaume Quashie-Vauclin

Tout se passe comme si les ouvriers avaient disparu de l’horizon de la gauche. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes à l’heure où celle-ci – et cela n’a pas toujours été le cas – est dominée par des partis issus du « mouvement ouvrier » – le Parti communiste bien sûr mais aussi le Parti socialiste, héritiers de la Section française de l’Internationale ouvrière. Disparus physiquement des rangs des élus et des dirigeants notamment les plus jeunes – voire même des militants, ainsi au PS comme l’a montré Rémi Lefebvre. Disparus symboliquement, des réflexions comme des discours. Classe hier magnifiée à gauche, la classe ouvrière semble être devenue aujourd’hui la classe oubliée de la gauche. Nombre de dirigeants socialistes, de longue date, n’en parlent plus – on se rappelle Lionel Jospin – voire, pire, n’y pensent même plus. En caricaturant à peine, on pourrait dire que  les ouvriers, à gauche, on n’en entend plus parler : dans tous les sens du terme… Mais il serait trop facile pour nous de jouer aux procureurs de la social-démocratie. Face aux tempêtes des vingt dernières années, n’avons-nous pas, nous aussi, eu tendance à plier, délaissant quelque peu le terrain ouvrier sous la puissance des vents contraires ? C’est que les ouvriers ont subi une offensive symbolique de première importance à partir des années 1970. Au mépris de classe traditionnel de la droite, s’est ajoutée en provenance d’une partie de l’extrême gauche et, peut-être surtout, de la deuxième gauche, une constellation d’assimilation infamantes : les ouvriers comme réservoir de machistes, racistes, simplistes appartenant à un passé mourant. Rangés en somme par les dominants au rayon des ringards et des réactionnaires face aux nouvelles luttes décisives à mener sur les bancs de l’université, de la prison ou sur le front de la « libération sexuelle » (je renvoie pour un éclairage partiel mais puissant au Foucault, Deleuze, Althusser & Marx d’Isabelle Garo). Il y a bien de l’injustice dans ce résumé grossier mais c’est pourtant bien cette conjonction d’offensives qui fit ternir l’auréole de gloire de la classe ouvrière.

La classe ouvrière n’a jamais été aussi nombreuse qu’aujourd’hui

 

Le PCF en difficulté et plus que tout autre associé à cette classe en déclin symbolique, fut d’autant plus tenté de délaisser quelque peu le terrain ouvrier qu’il était dans le même temps accusé de faiblesse sur le terrain des luttes – ô combien légitimes ! – ne se situant pas sur le terrain direct de la lutte des classes. On se mit alors à parler aux « gens » – dès Georges Marchais note la sociolinguiste Josiane Boutet –, reléguant au second plan le nom et la figure des ouvrières et ouvriers. Quand les années 1980 apportèrent leur lot sinistre et fracassant de fermetures d’usines, notre inconscient fut comme gagné à l’idée qu’« ouvrier » rimait avec « passé ». De ceci, on trouve encore la trace dans le dernier livre de Pierre Laurent où « ouvrier » est mentionné près de dix fois dans le chapitre 1 (consacré au passé) et une seule fois dans les autres chapitres – encore est-ce dans une phrase… au passé. Il n’y a bien sûr dans ce simple relevé aucun procès personnel car c’est bien collectivement que nous avons intégré cette fable de l’idéologie dominante (Stéphane Beaud et Michel Pialoux l’ont montré avec éloquence).Car il s’agit bien d’une fable ! Les ouvriers sont encore six millions dans notre pays et ne pèsent pas moins du quart du salariat. Mieux, si on prend en compte les ouvriers à la retraite, la classe ouvrière n’a jamais été aussi nombreuse dans ce pays qu’aujourd’hui ! Oui, oui ! Dès lors, ne s’agit-il pas de repartir à l’offensive en ce domaine décidément toujours décisif pour donner enfin au combat émancipateur toute la force de ses plurielles et indissociables facettes, dans les actes et dans les mots, dans les gestes et dans les têtes ? Pour finir, je vous invite à lire, à titre de signe, ces quelques lignes de Didier Éribon, intellectuel pourtant historiquement fort éloigné du PCF.  « Quand le marxisme dominait la vie intellectuelle française […], les autres luttes paraissaient ‘secondaires’ ou, même, étaient dénoncées comme des ‘diversions petites-bourgeoises’ qui détournaient l’attention du seul combat digne d’intérêt, du seul ‘vrai’ combat, celui de la classe ouvrière. En insistant sur toutes les dimensions que le marxisme avait laissées de côté – la subjectivation sexuée, sexuelle ou raciale, entre autres… – parce qu’il concentrait son attention exclusivement sur l’oppression de classe, les mouvements que l’on désigna comme ‘culturels’ furent amenés à proposer d’autres problématisations de l’expérience vécue, et à négliger, dans une très large mesure, l’oppression de classe.[…] Mais pourquoi nous faudrait-il choisir entre différents combats menés contre différentes modalités de la domination ? » (Retour à Reims, 2009).

 

La Revue du Projet, n° 10, septembre 2011

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Un spectre hante la gauche : la classe ouvrière… , Guillaume Quashie-Vauclin

le 21 September 2011

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