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La pensée noire ou les mutations du Front National, Gérard Streiff

L’arrivée de Marine Le Pen à la tête du Front National incarne à sa manière l’installation d’un « nouveau » FN. Ce parti a bien changé depuis sa création en 1972.  Il est toujours d’extrême droite, certes, mais il a adapté son propos à un monde changeant. On peut notamment retrouver dans ces mutations l’influence discrète du G.R.E.C.E. d’Alain de Benoist.

             En 1972, le tout jeune Front National regroupe un quarteron de nostalgiques de l’OAS, des racistes patentés, des boutiquiers inconditionnels du libre marché et des atlantistes totalement pro-américains (Reagan sera longtemps LE modèle de Le Pen). Le F.N. actuel s’est opposé aux deux guerres d’Irak (tout en soutenant mordicus le sinistre Saddam Hussein), il parle « d’égalité des cultures (raciales) » dans le monde, fustige l’ultra-libéralisme et l’Amérique. C’est qu’entre-temps, le monde a changé, l’Est s’est effondré et une place était à prendre dans l’imaginaire populaire. Et puis le FN a su suivre, finalement, les conseils d’un groupuscule de penseurs d’ultra-droite, le G.R.E.C.E., Groupe de recherche et d’étude pour la civilisation européenne.  Ce groupe est fondé en mars 1968 par le philosophe Alain de Benoist. Mesurant alors le total discrédit de l’extrême droite française, depuis la guerre et la collaboration, il tente de donner une nouvelle légitimité à sa famille politique. Et avance notamment trois thèmes fondateurs : à la place du racisme ou du racialisme, il propose le « différentialisme ». Pour obtenir d’être respectés ici, chez nous, Blancs et Chrétiens, il faut qu’on respecte l’Autre là bas, le Noir, le Musulman. Il faut une « égalité des cultures » (le mot « cultures » étant devenu l’autre terme pour dire les races) dans le monde. Pas question que ces « cultures » se mélangent chez nous, mais à distance, ça peut marcher... D’autre part, le libéralisme économique est dénoncé pour son matérialisme, il est considéré comme portant atteinte à l’intégrité spirituelle de l’Occident. Enfin, autre piste très importante du G.R.E.C.E., l’extrême droite n’est plus « la caricature de la droite » comme on disait souvent, elle ne se contente plus d’en rajouter sur les positions de la droite classique, elle est ailleurs, elle n’est ni de gauche, ni de droite. L’air de rien, ces trois idées vont faire un malheur et assurer, ultérieurement, la prospérité du FN.Au début, entre le G.R.E.C.E. et le FN, les rapports ne sont pas au beau fixe. Et si le mouvement de de Benoist a, semble-t-il, disparu, ses idées finiront par s’imposer à l’extrême droite ces quinze dernières années pour former l’actuel argumentaire frontiste. Le FN accentue son discours social

L’extrême droite de tout temps a été obsédée par la question identitaire. Les Français « de souche » ont en commun une identité commune sur un mode ethnique et culturel et tout ce qui pouvait troubler, contaminer cette « pureté » originelle, que ce soit l’étranger ou encore toute idéologie qui diviserait la communauté nationale, comme « l’égalitarisme », le socialisme ou même plus généralement les questions sociales, tout cela n’avait guère sa place dans la rhétorique frontiste et était mis de côté. Au milieu des années quatre-vingt, ce culte de l’identité (et un discours anti-élite) n’a pas été sans écho dans une partie de la classe ouvrière qui s’est sentie trahie ou abandonnée par la gauche (et le PCF). Lors de la présidentielle de 1995, 30% des ouvriers votent FN, ils sont 24% aux législatives de 1997 et le FN devient le principal parti ouvrier ! C’est dans la foulée qu’il accentue son discours social afin de fidéliser cet électorat populaire. Il investit désormais ces thématiques avec d’autant moins de scrupules qu’éloigné de toute participation gouvernementale, il peut tout promettre sans risque.C’est l’époque où il se met à dénoncer les clivages de classe et surtout le libéralisme économique, accusé de pervertir les valeurs françaises. Le Pen n’est pas devenu anticapitaliste ni égalitaire ; simplement, il y a derrière son propos « social », l’obsession identitaire qui rode. Par exemple, quand le FN, au nom d’une démarche souverainiste et protectionniste, condamne Maastricht ou la constitution européenne,  ce n’est pas tant la machine de guerre capitaliste et antisociale ou autoritaire qu’il fustige, c’est la menace pour l’intégrité de l’identité française que cela représenterait. On peut dire la même chose concernant la mondialisation : le FN joue des inquiétudes légitimes qui sont dans l’air (voir le sondage, page suivante) pour se montrer très critique (la mondialisation est « totalitaire » dit-il) tout en plaidant pour « l’égalité entre les cultures ». Mais ici aussi, lorsqu’on creuse son discours, ce n’est pas le triomphe du tout-privé qu’incarne la mondialisation ni l’effondrement de l’intérêt public qui est à l’œuvre un peu partout, qui le gênent ; son principal argument, c’est, face à la mondialisation, la préservation du caractère spirituel de la nation, sa cohésion ethnique. De même quand il parle d’égalité entre les cultures, cela pourrait laisser entendre qu’il reprend à son compte un propos de nature démocratique (l’égalité) ; il n’en est rien ; cette égalité, dès qu’on évoque le terrain national, n’existe plus pour lui ; ne sont citoyens à ses yeux que ceux qui partagent une même communauté d’origine  et la citoyenneté, donc, ne peut résulter que d’une filiation ethnique ; c’est le domaine de l’inégalité par excellence.Pour le FN, la vie politique ne se résume pas à un conflit gauche/droite mais à une opposition entre nationalistes et cosmopolites. D’un côté il y a les Français, attachés à la particularité de leur civilisation et de l’autre les « mondialistes », les lobby « pro-immigration » ou les « euro-fédérastes », jeu de mot ultra où l’on imagine sans peine l’étranger violeur. Bref le brassage culturel, la mixité ethnique, le métissage, voilà l’ennemi. Un argumentaire assez pauvre mais dont la force est à la fois d’avoir su jouer en permanence sur la question du rapport à l’Autre, qui est une question lancinante dans le débat public depuis dix ans au moins (immigration, islamisme, intégration, etc.) et d’avoir systématiquement brandi le drapeau du « ni gauche, ni droite », une idée partagée par une proportion croissante de concitoyens. Le repli sur la communauté, sur l’identité, en ces temps de mondialisation ravageuse, lié au sentiment du « tous pourris », cela peut être vécu comme une réponse. C’est sans doute là que réside le principal ressort de l’extrême droite.

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le 11 août 2011

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