La revue du projet

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« La recherche a besoin de temps et de liberté », Bruno Chaudret*

 

l Jean-Marie Doussin : Alors que les réformes Pécresse proclamaient l’exigence d’excellence pour les universités, comment comprendre la réduction observée des effectifs ?

 

Bruno Chaudret : La situation actuelle est caractérisée par une agression inouïe contre tout notre système de recherche sous couvert « d’excellence » et par un désengagement de l’Etat sous couvert de « priorité à la recherche ». Les « nouvelles structures » fleurissent et celles issues du grand emprunt peuvent détruire notre système et conduire à une situation extrêmement grave. Le mot « excellence » est mis en avant dans tous les projets actuels concernant l’université. Je veux détailler ci-dessous l’attaque que nous subissons sous couvert de « grand emprunt ». Le grand emprunt veut créer des universités de taille mondiale, aptes à rivaliser avec les universités américaines. C’est le sens des « initiatives d’excellence (IDEX) » qui sont le regroupement des différents outils du grand emprunt  : équipements d’excellence (EQUIPEX), laboratoires d’excellence (LABEX), instituts de recherche technologique (IRT), instituts hospitalo-universitaires (IHU), différentes initiatives aux thématiques ciblées, etc. ...

 

Notons tout d’abord que certains de ces appels d’offre sont curieux :

 

• Les LABEX : Les laboratoires existent, ce sont pour la plupart des « unités mixtes » qui regroupent le CNRS, l’université, des écoles d’ingénieur, ... Ces laboratoires sont évalués et leur périmètre peut changer au cours du temps. Le principe des LABEX est de prendre les meilleurs éléments de différents laboratoires pour les faire travailler ensemble. Le Conseil Scientifique du CNRS a rappelé dès sa première réunion la dangerosité d’une telle démarche qui peut conduire à déstructurer complètement la recherche française. D’autre part, cette démarche se fonde sur l’idée que mettre en concurrence les individus les plus « excellents » conduira nécessairement à augmenter la qualité de la recherche française. C’est totalement méconnaître la nature de l’activité de recherche qui, à quelques exceptions près, se fonde sur la coopération et a besoin de métiers différents : chercheurs de différentes disciplines, ingénieurs et techniciens, personnels de soutien administratif etc....

• Les EQUIPEX : L’activité de recherche nécessite des équipements toujours plus pointus et coûteux. C’était en partie le rôle du CNRS à travers ses plans d’investissement pour les équipements de taille moyenne (« mi-lourds ») et le soutien aux très grands équipements (« TGIR »). Le CNRS a de plus en plus de mal à soutenir ces investissements. Plutôt qu’un plan national de soutien aux investissements, on a privilégié une compétition dont l’avenir dira si elle est bien « libre et non faussée » mais qui ne permettra pas la nécessaire mise à niveau du parc instrumental français.

• Les IDEX : Cette structure doit coiffer tous les projets « d’excellence ». Elle doit définir ce qui rentre dans un « périmètre d’excellence » et ce qui en est exclus. Ces IDEX ont été construits selon les cas sans concertation, ou avec une concertation très réduite avec la communauté scientifique. Ils n’ont aucune instance de contrôle démocratique (conseils, ...), marginalisent le CNRS et dans certains cas même les universités. Outre le fait que cette « excellence » est bien souvent autoproclamée, cette structure pilotée par quelques individus (« board of trustees » dans le texte !) ressemble à un regroupement d’individus qui cherchent à se partager le gâteau. La question centrale est cependant : quel gâteau ? Sans rentrer dans les détails de cet appel d’offre hallucinant, seulement une petite partie des sommes sera « consumptible », le reste étant placé. Dans ces conditions, il est clair que le gouvernement privilégie des projets spectaculaires (plateau de Saclay) mais qui n’auront qu’un effet d’entraînement très limité sur la recherche française au détriment de l’emploi scientifique. De plus, ces structures favoriseront le recrutement de précaires dans toutes les catégories de personnel.

 

En résumé, dans cette compétition qui a vu se mobiliser la communauté scientifique pendant plusieurs mois, seuls quelques projets verront réellement le jour. C’est un gâchis énorme qui ne sera pas sans impact sur la productivité de la recherche française.

l J.-M. D. : N’y a t’il pas au fond un risque d’éclatement pur et simple du CNRS et d’une vision nationale pluridisciplinaire de la science française ?

B. C. : On l’a vu, le CNRS dans les opérations actuelles est marginalisé. Le CNRS acteur essentiel et admiré à l’étranger, de notre système de recherche est totalement dessaisi de sa politique scientifique. Il est soumis à des attaques constantes pour le dépouiller d’une partie de son potentiel notamment dans le domaine des sciences de la vie et des sciences de l’homme et de la société. Le conseil scientifique du CNRS a réfléchi aux problèmes d’interdisciplinarité. A cette occasion, les collègues étrangers ont souligné l’importance d’avoir un institut comme le CNRS qui regroupe tous les domaines de recherche pour favoriser l’interdisciplinarité qui est un enjeu des plus importants à l’heure actuelle dans le développement des sciences. Il est donc essentiel de défendre l’intégrité et le rôle du CNRS dans la recherche française.

l J.-M. D. : Peut-on encore penser aujourd’hui la recherche comme un service public ? Peut-on l’appréhender dans une vision de court terme ? L’histoire des sciences n’infirme t’elle pas ce postulat ?

B. C. : Ces  questions peuvent être traitées simultanément.

Je ne suis pas sûr que la recherche soit un service public au même titre que les transports ou l’électricité et je ne suis pas sûr qu’elle  l’ait jamais été. La recherche n’est pas un service du public, du moins pas au départ. Elle a sa dynamique propre. Je ne reprendrai pas l’image de la bougie et de l’électricité mais le public a toujours tendance à vouloir que l’on améliore la bougie alors que c’est en faisant des expériences bizarres et inutiles que l’on découvre l’électricité. La recherche a besoin de temps et de liberté. Elle a besoin de collaborations et de controverses. On ne peut pas prévoir la découverte majeure. La limiter à une compétition entre les « meilleurs » est suicidaire.

 

Ceci dit, la recherche a un rôle important dans la société : - elle produit des connaissances qui peuvent profiter au grand public. - elle peut se pencher sur de grands problèmes sociétaux - elle peut collaborer avec l’industrie dans un partenariat équilibré. Ceci est remis en cause par de grands groupes qui ferment des centres de recherche pour externaliser leur recherche vers le CNRS. Cette collaboration ne peut évidemment fonctionner que si l’on croit à un avenir industriel pour la France.

l J.-M. D. : Mais alors, quels seraient d’après vous les termes d’une réelle politique nationale de soutien, financier et structurel, de la recherche ?

 

B. C. : On ne peut pas répondre à une telle question en trois lignes. Ceci dit je reprendrai quelques principes. Il faut : • du temps donc des postes de titulaires de la fonction publique, pour tous les métiers de la recherche. A ce sujet, il est remarquable que le CNRS procède dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP) à un audit des « fonctions support » (administration, gestion, communication, ...) avant de s’intéresser aux « fonctions soutien » (personnel technique, ...), ce qui pourrait bien traduire une tentative d’externalisation de ces fonctions si nous ne prenons pas garde. • des crédits permettant de prendre des risques et donc un véritable contrat entre laboratoires et instances de tutelle qui fournisse les moyens de fonctionner et de développer une recherche autonome. A ce sujet, si je suis contre le tout appel d’offre, je ne suis pas contre une proportion raisonnable d’appels d’offre qui permette aux jeunes chercheurs de développer des idées originales ou de mettre en réseau sur une thématique particulière des laboratoires. • des équipements au niveau international donc la mise en place selon les disciplines de plateformes. En ce qui concerne les structures, il y en a beaucoup trop. Il faudrait revenir à un peu de simplicité : les organismes (CNRS, INSERM, ..) et les universités.

 

l J.-M. D. : La Gauche, dans ses actes et ses propositions, est-elle au niveau des enjeux et des exigences posées ?  

 

B. C. : Encore une question intraitable en trois lignes et je ne suis pas là pour juger de la Gauche. J’attends personnellement de la gauche qu’elle s’engage à : • arrêter Labex et Idex. • transformer les Equipex en un plan national d’équipement scientifique. • mettre en place une concertation démocratique pour remettre de l’ordre dans les structures et redonner aux organismes leur place. Propos recueillis le 29 janvier 2011

*Bruno Chaudret est directeur de recherche au CNRS, membre de l’Académie des Sciences et lauréat du prix Pierre Sue 2010. Il est spécialiste de chimie organo-métallique, notamment des interactions entre l’hydrogène et les métaux de transition. Il a mis au point une méthode originale de synthèse de nanoparticules de métaux ou d’oxydes et a développé leurs applications dans des domaines aussi variés que la catalyse, le magnétisme ou la microélectronique.w

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le 11 August 2011

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