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Le multiculturalisme aux États-Unis, Jacques Portes*

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Le multiculturalisme a toujours existé aux États-Unis, mais il n’y était ni reconnu ni admis. Au XIXe siècle, les immigrants dans leurs quartiers  de New York ou Chicago vivaient pendant plusieurs années avec leur langue originelle, leurs produits alimentaires du pays ; toutefois les hommes se débrouillaient peu à peu en anglais dans leur travail et, à l’école, les enfants se frottaient aux autres de langues diverses.

Les partis politiques s’empressaient de faire voter les nouveaux arrivants, en leur promettant la nationalité américaine. Ce qui fait qu’au  bout d’une génération ces derniers étaient en même temps proches de leurs racines et « intégrés » dans la société américaine avec ses habitudes de consommation et de divertissement.

 

 

Le melting pot

Toutefois, l’idéologie dominante avait « inventé » au début du XXe siècle la notion de melting pot, selon laquelle les immigrants perdaient rapidement leur culture pour s’américaniser.A une époque de très forte immigration (environ 1 million par an vers 1910) le melting pot paraissait rassurant, même s’il fallait toujours deux ou trois générations pour que des immigrants en majorité se marient en dehors de leur groupe et s’intègrent dans la société. La restriction de l’immigration en 1920 et 1924 a abouti à une forme d’intégration, sans la pression de nouveaux immigrants.En fait, il faut attendre 1965 pour que la loi sur l’immigration aboutisse au retour massif d’immigrants, d’origines variées et plus diverses qu’auparavant.

 

L’affirmative action

A cette période, les dispositions de l’affirmative action (dénommée absurdement en français « discrimination positive ») ont donné  naissance au multiculturalisme moderne. Elles ont été conçues de 1965 à 1971, par le président Johnson puis son successeur Nixon, spécifiquement pour les Noirs, que leur passé esclavagiste et ségrégationniste avaient handicapé. D’ailleurs, les Africains-Américains ont profité de cette politique et nombreux sont ceux qui ont ainsi pu poursuivre des études et trouver des emplois dans la fonction publique fédérale ou fonder de petites entreprises. Dans le même temps, d’autres groupes ont jugé avoir droit, eux aussi, à ces programmes compensateurs : le cas des femmes et des Indiens a été réglé assez vite puisque la discrimination antérieure était indéniable. Une première déviation de l’affirmative action se produit alors, quand les nouveaux immigrants attirés par la loi de 1965 vont également entrer dans le système et le rendre de moins en moins transparent.Dans les services officiels, l’arrivée de populations venues d’Amérique latine et d’Asie correspond à la conception raciale de la société américaine — apparente également dans les catégories du recensement — divisée en cinq groupes : blancs, rouges, noirs, bruns et jaunes. La coexistence de ces groupes reconnue par l’idéologie multiculturelle aurait pu bien se passer, si elle n’avait pas été difficilement compatible avec les textes qui défendent le droit d’individus égaux au sein de la collectivité, car il est impossible à plaquer un carcan sur une société en mouvement perpétuel.Les Africains-Américains ont constaté que les avantages dont ils disposaient étaient en diminution, dans la mesure où les services avaient partagé les sommes disponibles entre de nombreux partenaires, sans qu’il y ait eu accroissement des crédits. Les Chinois réussissent fort bien dans les études supérieures et estiment qu’ils n’ont pas besoin de mesures de protection, mais quand les bureaux qui établissent les listes de bénéficiaires veulent en rayer un certain nombre, ils sont ensevelis sous les protestations et les menaces des activistes de chaque groupe et se gardent bien de persister dans leur initiative malencontreuse. De la même façon, si ces services écartent des programmes certains des nouveaux arrivants, des Indiens d’Inde et du Pakistan par exemple qui ont de bonnes situations, il se trouve toujours un représentant de ces groupes pour crier à l’inégalité de traitement interdite par la loi. Il ne s’agit plus d’une américanisation par les valeurs, comme autrefois, mais de l’utilisation d’un système au profit de l’identité du groupe.Pour compliquer le paysage social, les groupes raciaux établis par l’administration, par tradition et sans la moindre définition scientifique, éclatent peu à peu en raison du changement des mœurs. Si les Africains-Américains continuent, mise à part une infime proportion qui croît régulièrement, à pratiquer l’endogamie et ne discutent pas une homogénéité raciale bien floue, ce n’est pas le cas des autres groupes. Les derniers recensements indiquent en effet qu’un tiers des « Hispaniques » se marient en dehors de leur groupe « racial », comme le font plus de la moitié des « Asiatiques ». Dans ces conditions, l’affirmative action devient ingérable et a perdu tout son sens, mais le multiculturalisme est lui aussi bien difficile à définir. Quel est l’élément primordial pour un Italo-américain ou pour un Mexicain qui vit aux États-Unis depuis des années, et qui a obtenu la nationalité américaine ? Sont-ils, avant tout, des Américains ou revendiquent-ils plutôt leur identité d’origine ? Il apparaît que le potentiel d’assimilation américaine existe toujours, grâce aux médias, à la consommation de masse, à la répétition du message national en cas de crise, comme l’ont prouvé les réactions après les attentats du 11 septembre 2001. Les Américains, quelle que soit leur origine, revendiquent volontiers leur nationalité dans ces cas-là, surtout quand ils se trouvent à l’étranger, mais dans les périodes plus calmes, ils se plaisent à revendiquer avec force leur identité particulière.

*Jacques Portes est professeur d’histoire de l’Amérique du nord, université Paris 8.

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Le multiculturalisme aux États-Unis, Jacques Portes*

le 19 June 2011

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