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Le métissage : la pensée de l’émancipation, Stéphane Coloneaux

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 Le métissage est un moteur de dépassement non pas seulement des discriminations, mais du capitalisme lui-même.

 

Comme le propose l’économiste communiste Paul Boccara, portons un regard sur ce qu’il nomme « l’anthroponomie » comme étant l’un des « grands axes de transformation pour une autre civilisation de toute l’humanité ». Pour travailler à cette civilisation il nous invite, dans son dernier ouvrage, à nous intéresser aux métissages civilisationels. Alexis Nouss, Pascal Laplantine, chercheurs et auteurs de plusieurs ouvrages sur cette notion, appellent eux aussi à reconsidérer le métissage comme étant un moteur de créativité propre à la réalité d’un monde en mouvement.  J’affirme, pour ma part que le métissage est un moteur de dépassement non pas seulement des discriminations, mais du capitalisme lui-même. Il est le chemin d’émancipations novatrices, au sens où il est création, nouveauté et dynamisme. Pour admettre que le métissage est un moteur d’émancipation il faut, comme il nous y invite, voyager, voyager au cœur de notre civilisation et de son histoire, voyager à travers soi-même pour y retrouver nos propres processus d’émancipation. Enfin, je parie pour la fondation à partir du réel d’une pensée du partage, de la relation permettant aux peuples de construire un autre type de civilisation.

 

 

L’aliénation de la domination capitalisteNaomi Klein, essayiste et journaliste dans son livre La stratégie du choc dénonce « l’existence d’opérations concertées dans le but d’assurer la prise de contrôle de la planète par les tenants d’un ultralibéralisme (...). Il mettrait sciemment à contribution crises et désastres pour substituer aux valeurs démocratiques(…) la seule loi du marché et la barbarie de la spéculation. » Comment appréhender une sortie civilisationnelle du capitalisme si nous ne comprenons pas les mécanismes mis en place par celui-ci pour maintenir les aliénations comme par exemple les discriminations ? Il suffit de peu pour que chacun de nous puisse se rendre compte de sa stratégie. Allumer les écrans de télévision, regarder les Unes des journaux et vous y êtes : émeutes de la faim, crises des banques, crise politique, terrorisme, guerre, crise sociale, hausse des loyers, baisse du pouvoir d’achat, insécurité, suicides, meurtres… Et comme si cela ne suffisait pas : précarité énergétique, danger nucléaire, médications nocives pour la santé, pollution… Bref, cette description du chaos nous permet de comprendre à quoi nous conduisent le marché et le capitalisme. Et pourtant, le capitalisme se porte bien. Il n’aura fallu qu’une petite année pour que les banques remboursent des milliards d’euros de prêt après les faillites bancaires et tout en réalisant des bénéfices !  Le paradoxe, c’est qu’il se forme des résistances nouvelles dans ce « chaos » Edouard Glissant le définit en parlant de Chaos-Monde : « J’appelle Chaos-Monde le choc actuel de tant de cultures qui s’embrassent, se repoussent, disparaissent subsistent pourtant, s’endorment ou se transforment, lentement ou à une vitesse foudroyante : ces éclats, ces éclatements dont nous n’avons pas commencé de saisir le principe ni l’économie et dont nous ne pouvons pas prévoir l’emportement. Le Tout-Monde, qui est totalisant, n’est pas (pour nous) total. »Qu’est-ce que la description du Chaos-monde peut avoir en commun avec le métissage ? Eh bien tout, ou presque. Le métissage c’est la pensée de l’émancipation alors qu’aujourd’hui nous sommes aliénés par la domination capitaliste. Il s’agit donc, si nous voulons œuvrer pour une sortie du système, de travailler à une pensée de l’émancipation et du métissage mais pas n’importe laquelle. La stratégie du choc c’est le capitalisme du désas­tre pour maintenir les aliénations. Au plus fort de la période esclavagiste, la traite négrière était la plus intense, la plus inhumaine, l’économie des pays européens a été des plus florissantes.

 

 

Besoin de politiques d’affirmation du métissagePour s’émanciper de la pensée capitaliste il y a deux postulats. Le premier, c’est comprendre et connaître le système  afin de le remettre en doute, le questionner, réinterroger les normes et leurs constructions historiques. Le second est de définir un mécanisme d’émancipation collectif qui soit un mécanisme de la relation à l’autre, une relation qui se construit dans l’altérité, la découverte et le partage à condition d’en faire une affirmation.Face à la stratégie de choc des civilisations nous avons besoin de politiques d’affirmation du métissage. Nous pouvons prendre comme exemples des politiques qui œuvrent à l’éducation de l’altérité comme les politiques culturelles locales ou encore l’éducation populaire que nous avons conçue il y a quelques années. En effet, depuis la fin des années quatre-vingt-dix nous avons dans plusieurs collectivités territoriales des délégués à l’égalité, à la lutte contre les discriminations, au vivre ensemble ou encore, comme moi, aux métissages. Cette capacité nouvelle à définir et à agir au plan local, au plus près des citoyens à la fois contre les discriminations mais aussi à la mise en œuvre de politiques publiques pour le vivre ensemble conduisent des élus locaux à diagnostiquer un ensemble d’actions et de propositions propres à l’émergence d’émancipations nouvelles. L’art de rue, le devoir de mémoire, le bouleversement urbain, l’habitat, les transports, etc. sont autant d’actions, souvent portées par des associations, où les dynamiques de la relation, du partage sont créatrices. Agir politiquement du local au national avec une pensée monde, une pensée du métissage n’est pas une question réservée à une génération mais bien une novation politique. Celle-ci s’oppose frontalement à trois courants idéologiques : celle du repli sur soi et du nationalisme de l’extrême-droite,  celle de la globalisation libérale inéluctable de la Droite et enfin celle des tenants de la régulation du marché de la social-démocratie.

 

 

Une pensée mondeAlors que certains voient dans le métissage une malédiction, les poètes comme Edouard Glissant ou Yacine Kateb y saisissent plutôt un monde en archipel, dans lequel le métissage est une loi de la rencontre dans l’altérité, de la réparation, et d’une humanité nouvelle. Si certains communistes n’interrogent pas la notion de métissage, ils se coupent alors de processus d’émancipations. Certes tout le monde ne peut s’investir dans tous les champs d’émancipation mais pourrions-nous imaginer le dépassement du capitalisme sans penser à l’émergence d’une alternative à l’économie de marché ? Des lors, il est impossible de penser le dépassement du capitalisme,  et de son système d’aliénation sans une alternative d’une pensée à la relation à l’autre. Il existe une pensée de la relation, une pensée monde qui est processus de créativité et d’émancipation. Cette pensée, c’est l’incontournable notion de métissage. Il n’y aura pas de révolution, sans révolution fondamentale de la relation à l’autre. Une société post-capitaliste n’est pas concevable sans une émancipation fondamentale.

 

*Stéphane Coloneaux est maire adjoint délégué au métissage, aux droits de l'Homme et devoir de mémoire, aux anciens combattants à l’Haÿ-les-Roses.

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le 19 June 2011

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