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Vivre ensemble. Dur, dur... Gérard Streiff

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La place de l'étranger est un thème qui revient de manière récurrente dans le débat public ces dernières années.

 

A la demande notamment de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), la SOFRES a reconduit une enquête, déjà menée en 2007, sur les enjeux « Racisme, discrimination et intégration ». Cette étude, menée fin 2010, a donné lieu à un rapport d'une centaine de feuillets. Il s'agit d'une enquête qualitative, à base d'entretiens, où la parole du sondé est libre, l'intervieweur se contentant de relancer ce dernier.  Quelques enseignements.

Un sentiment de fragilisation de la société

 

L'intitulé de la première partie du rapport dit assez la détérioration de la situation : « Un contexte général peu favorable à une appréhension sereine de l'étranger ». On commence par pointer  la difficulté des interviewés à « manipuler les termes » de l'entretien. Les gens sentent que les questions évoquées (racisme, intégration) sont des sujets de polémique, ils multiplient les précautions. Plus ils sont éduqués, plus ils se montrent inhibés ; en général, se voulant lucides, ils ont tendance à surévaluer leur racisme. Les plus modestes, eux, le sous-évaluent... En vérité, le débat semble brouillé et les sondés ne savent plus très bien comment qualifier leurs propres prises de position : intolérance ? racisme ? respect ? défense de certaines valeurs ?Autre donnée importante : ces discours s'inscrivent dans « une perception globalement négative et pessimiste » de la société française. Les interviewés notent une exacerbation de l'individualisme, de l'égoïsme, une insécurité grandissante, économique, matérielle ; la peur du terrorisme est réelle et nourrit une méfiance à l'égard de l'islam et des musulmans. De plus, tout se passe comme si l'actualité (identité nationale, déchéance de nationalité, burqa, Roms) venait nourrir leurs inquiétudes et leur donner le sentiment de fragilisation de la société. L'accumulation sur une courte période de tous ces « débats » fait que la question de la différence, de la gestion de la différence est plus en plus visible. Dans le même temps, le discours politique se « libère » ; ce qui auparavant était l'apanage de l'extrême droite se banalise. Ce qui est nouveau, par rapport à 2007, c'est le fait de désigner sans gêne tel ou tel groupe (comme le noir ou l'Arabe chez Zemmour...). Le lien immigration–insécurité est désormais jugé comme une question de « bon sens », que nombreux taisaient jusque là en raison d'un discours antiraciste dominant. Le sondé, souvent, ne prend pas ça pour du racisme mais comme un signe de lucidité si on veut vraiment s'attaquer au problème de l'insécurité... Désormais le discours de défiance à l'égard de l'Autre est considéré comme légitime. « Un verrou a sauté » dit l'étude. Cette banalisation peut être déplorée ou saluée par les sondés qui, tous, sont pessimistes sur l'état de la société et –ce qui est plus grave– pessimistes sur l'avenir : on s'imagine que l'individualisme va s'accentuer, que le manque de respect ne pourra pas s'inverser ; on s'attend en somme au pire (attentats, révoltes, guerre des religions...).Notons que, spontanément, les gens ne mentionnent plus le thème de « trop d'immigrés », ce qui peut signifier tout aussi bien que, pour eux, c'est une évidence ou alors que ce n'est pas en soi un problème ; mais beaucoup anticipent une augmentation de l'immigration que la France ne pourrait pas intégrer. Les gens n'imaginent pas qu'il existe des solutions : la politique est globalement discréditée ; on en appelle à une « prise de conscience » sans trop y croire.

 

Une diversité de discours sur le racisme

 

Deuxième chapitre de l'étude : « Au delà de traits communs, une diversité de discours sur le racisme. » Le racisme est rarement vécu à partir de la notion de race au sens biologique ; c'est « le refus de l'Autre en raison de sa différence » et là, les critères sont très variables. Pour presque tous les sondés, le racisme est répréhensible, une « attitude socialement et moralement non admise ». Et pour cela, on cherche à s'en exclure, soit en dramatisant le terme (c’est du nazisme), en opposant son propre racisme « raisonné, justifié » à un racisme maximaliste, théorique ; soit en estimant que le racisme est un terme galvaudé, utilisé à tort et à travers et ayant perdu son sens. L'étude montre que les ressorts du racisme sont « l'impact économique et social de la présence de l'Autre » (coût supposé, accès au logement, à l'emploi, délinquance) ; on parle moins qu'en 2007 de concurrence de l'étranger sur l'emploi mais beaucoup plus du risque que ces populations ne profitent des aides sociales. Plus on est fragiles, plus on est sensibles à cet argument. L'autre ressort, c'est la perception des différences et leur caractère ostentatoire ; comme si l 'Autre ne voulait pas « rentrer dans le rang », comme s'il affichait trop sa spécificité. Les principales cibles sont « les Arabes » et « les noirs » ; le thème de l'islam est plus fort qu'en 2007 ; les « jeunes des cités » résument et symbolisent bien cette inquiétude. L'Asiatique, systématiquement identifié au « Chinois », est réputé magouilleur, installé dans son coin  et ne posant guère de problèmes. La figure des Roms et des Tsiganes est peu centrale dans l'imaginaire raciste ; l'antisémitisme est rarement abordé. On use des termes d'immigrés, d'étrangers, de personnes d'origine étrangère, avec des connotations légèrement différentes.

 

Trois discours

 

L'étude de la SOFRES pointe ensuite trois types de discours. UN : l'Autre est Victime, l'approche ici est plutôt théorique, le racisme est un symptôme de dysfonctionnement, les discriminations sont une injustice ; il faut œuvrer à l'intégration, la collectivité doit en assurer les bonnes conditions, c'est un discours de condamnation voire de lutte contre le racisme.DEUX : l'Autre est Responsable, l'approche est empirique, le racisme est ici un réflexe de protection naturel, les discriminations s'excusent, l'intégration est nécessaire mais dépend de la volonté de chacun, c'est un discours de justification protectrice du racisme.TROIS : l'Autre est Responsable, l'approche se veut empirique, le racisme est une forme de défense d'une identité, les discriminations sont légitimes, l'intégration est refusée, elle menacerait l'identité française, c'est un discours de justification offensive du racisme.L'étude estime que les tenants de chacun de ces discours ont des profils psychologiques proches et des systèmes de valeurs particuliers.Les tenants du discours UN sont plutôt bien intégrés socialement, ont une posture d'ouverture (éducation, tolérance, différence, réflexion personnelle). Les tenants du discours DEUX sont plutôt fragilisés, ils sont dans la méfiance ou l'inquiétude (repli sur soi, peur du conflit). Les tenants du discours TROIS ne se vivent pas comme mal intégrés socialement, ils ont peu de doutes, ont le sentiment d'une défense légitime de leurs droits, ont une posture combative et un discours virulent.La SOFRES détaille ensuite assez longuement (une trentaine de pages) les composantes de chacun de ces discours, sa manière de voir le racisme, la discrimination, l'intégration. L'étude se conclut par plusieurs enseignements, sept : aux yeux des sondés, la crise rendrait difficile « un discours apaisé » sur l'autre et interrogerait « la possibilité même du vivre ensemble » ; une sensibilité exacerbée chez certains des idées de « relâchement moral », de « la perte de notion d'effort » dont « profiterait » l'immigré ; l'islam et les musulmans polarisent les critiques ; l'identité française se diluerait ; le discours sur l'Autre est plus « construit », plus identifiable ; la définition du racisme est brouillée ; le combat antiraciste est rendu plus difficile.

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le 19 juin 2011

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