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Présentation : Multiculturalisme, la perspective émancipatrice de notre temps ? Guillaume Quashie-Vauclin

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Ce numéro de la Revue du Projet paraît dans un contexte lourd. La droite au pouvoir plonge en effet notre pays dans une atmosphère méphitique, chaque jour plus irrespirable. La xénophobie s’affiche sans fard sur les perrons ministériels et les lois ignobles suivent les discours infâmes. Au-delà même de nos frontières, c’est ce même mouvement dangereusement convergent qui se dessine parmi les droites européennes, toutes peu ou prou lancées dans une course à l’identité (nationale, chrétienne, blanche). L’ennemi qu’elles désignent ? Le « multiculturalisme », chiffon rouge agité pour détourner des marchés financiers la colère des peuples.Et la gauche face à cela ? Elle semble adopter de plus en plus nettement la défense du « multiculturalisme », encouragée en ce sens par les assauts de la droite contre cette notion. On assiste ainsi à une mutation des réponses proposées à gauche face aux questions qu’on rassemble parfois sous le vocable de « vivre ensemble ». La promotion du multiculturalisme semble prendre le pas sur celle de l’universalisme de tradition républicaine. Ce phénomène est visible, de longue date, dans une large partie de l’extrême gauche, héritière d’un certain tiers-mondisme ; il l’est aussi au Parti socialiste, de manière croissante.Assurément, les impasses, les impostures et les crimes de cet universalisme républicain du XIXe siècle ont contribué à discréditer ce concept aux yeux de nombre de contemporains progressistes. C’est bien au nom de l’universalisme républicain que fut menée l’entreprise coloniale qui imposa normes, valeurs et domination européennes. C’est bien parce que des Européens ont pensé leurs codes sur le mode de l’universel qu’ils les ont imposés aux peuples du monde, niant dans le même temps toute existence – toute possibilité même – d’une culture hors des rivages de l’Europe.De cet universalisme-là, myope et colonial, qui étend à l’universel ses particularismes de bourgade, il ne peut plus être question pour qui se veut combattant de l’émancipation en ce début de XXIe siècle. Ceci est désormais acquis à gauche. Pourtant, le débat ne s’en trouve pas clos. Tout universalisme doit-il être abandonné ? Le multiculturalisme est-il le chemin à emprunter pour qui cherche la voie de l’émancipation individuelle et collective ?

C’est sur ce terrain que discutent les textes ici rassemblés. Non sans convergences possibles, assurément. Non sans clairs désaccords qu’il ne s’agit pas d’amoindrir car ce n’est qu’avec ces dissonances que le débat peut vivre et s’épanouir parmi les communistes – et au-delà – autour de positions fortes et construites.Si la pluralité d’approches est donc respectée dans le dossier, je souhaite exposer en quelques mots la perspective qui est la mienne. Une approche en termes multiculturalistes me semble receler mille dangers. Quel sens aurait encore l’humanité si celle-ci devait être divisée d’insurmontable façon en « Africains », « musulmans », « Français », étanches communautés juxtaposées dont on attendrait – pour les bonnes âmes – qu’elles « dialoguent » ou – pour les âmes damnées – qu’elles se séparent voire se combattent ? Je ne crois pas à une essence figée, pure et parfaite du « Français », du « musulman », de l’« Africain » : l’un mangeant saucisson, l’autre couscous et le dernier bananes ; chacun devant en rester là, ayant tout juste le droit, dans le meilleur des cas, de goûter au plat du voisin, le temps d’une soirée, avant de remettre au plus vite, qui son pagne, qui son béret, qui sa burqa. Non ! La célèbre phrase de Térence ne saurait être oubliée sans périls : « Homo sum, humani nihil a me alienum puto. » [Je suis un homme, j’estime que rien de ce qui est humain ne m’est étranger.] Par ailleurs, l’individu n’est pas réductible à une communauté, miraculeusement susceptible de dire et définir l’entièreté complexe et plurielle de son être. Disons les choses politiquement : à mes yeux, l’individu ne doit pas être réduit à une communauté sous peine de dissolution de l’humanité et de tout horizon émancipateur, sous peine, tout autant, d’étouffement et d’enfermement de l’individu dans d’aliénantes destinées assignées. Terminons enfin par le plus évident : qui ne voit que ces étanches divisions arbitraires de l’humanité, appliquées à ceux qui ont tout intérêt à se libérer de l’exploitation capitaliste, nourrissent puissamment la division des dominés et l’illusion que l’issue ne saurait être trouvée que par et dans « sa » seule « communauté » ?Cette prise de parti personnelle n’entend pas être une conclusion politique – je n’en ai guère la légitimité –, encore moins théorique. Elle se veut une modeste entrée en matière, signalant quelques-uns des lourds enjeux que soulève le concept de multiculturalisme. Elle se veut également une invitation à lire avec l’attention qu’elles méritent toutes les contributions de ce riche dossier. Elle se veut enfin un appel à penser vraiment ces questions majeures. La situation de notre peuple est trop dure et le besoin d’alternative trop immense pour que nous abandonnions paresseusement ce terrain décisif. Bonne lecture !

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Présentation : Multiculturalisme, la perspective émancipatrice de notre temps ?  Guillaume Quashie-Vauclin

le 19 June 2011

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